dimanche 19 septembre 2021

Rêve 61 : Le totem

 Dimanche 19 septembre 2021

 




Je conduis notre voiture sur un chemin très humide, boueux, très étroit par endroit. Je dois vraiment me concentrer car à gauche il y a un fleuve et je pourrais tomber dedans. Plus loin, ce chemin devient pierreux, chaotique, et je ne me vois pas continuer avec la voiture… 

Je suis apparemment près de la ville de Nantes. Je suis la voiture d’une voisine d’enfance qui elle a un 4X4 et qui peut se faufiler aisément sur n’importe quel terrain. Mais ne pouvant plus la suivre je décide de laisser ma voiture et de continuer le chemin en marchant.

Je regarde le fleuve sur la gauche et y vois une scène étrange, un engin guidé par un ouvrier essaye de récupérer dans l’eau une tête de Bouddha en terre. Il fait très attention pour ne pas la casser en la soulevant mais l’opération s’annonce périlleuse ! 

 


Un homme qui marche comme moi sur le chemin exprime tout haut son exaspération concernant la façon dont l’ouvrier procède pour sortir la tête hors de l’eau. Il risque de la casser.


Sur la droite j’aperçois une immense colonne en terre, comme un totem fait de l’accumulation en hauteur de plein de têtes stylisées, à l’africaine. C’est très beau et j’en déduis que la tête dans l’eau était le sommet de cette colonne/totem. 

A ce moment là, la colonne penche, tombe et se fracasse sur un ensemble d’immeubles très modernes avec beaucoup de structures en fer. Ils sont détruits, la scène est violente, spectaculaire. Les gens autour de moi crient, sont choqués. Moi je suis interloquée, je mets la main sur ma bouche de surprise. 

Cette scène se déroule tout près de moi et en même temps, j’ai l’impression que c’est éloigné, une impression étrange.

 



(rêveuse anonyme)

.

Sur le blog : 

"Les rêves et la vie"

.

 


jeudi 16 septembre 2021

Crise et solution

Jeudi 16 septembre 2021

 

  
Nous souffrons par les rêves, 
nous guérissons par les rêves.
. 
Gaston Bachelard 
.

 

 
 
Lorsqu'une crise psychique se déclenche, 
vous êtes mieux situé que quiconque pour la résoudre.
Vous avez des rêves et des rêves éveillés, 
donnez-vous la peine de les observer. 
 
Chaque rêve porte, à sa manière, un message : 
il ne vous dit pas seulement 
que quelque chose ne va pas dans votre être profond, 
mais il vous apporte la solution pour sortir de la crise.
 
Car l'inconscient collectif qui vous envoie ces rêves a déjà la solution : 
en effet, rien n'a été perdu de toute l'expérience immémoriale de l'humanité; 
toutes les situations imaginables et toutes les solutions possibles 
ont été conservées par l'inconscient collectif. 
 
.
"C.G. Jung parle"
 
.
 
 
 

Rêves : "La barrière", "Le boulanger" et "Le train"

 

Rêves faits pendant le premier confinement
(printemps 2020)
recueillis par Elisabeth Serin et Hervé Mazurel 
 
 
 

 
 1) La barrière
 
Je rêve que je suis sur un chemin boueux, en campagne, 
et que tout à coup, s'interpose au milieu du chemin, 
une grande barrière en bois (comme un grand mur de palettes), 
qui me semble tout à fait insurmontable. 
 
Avec le petit groupe de personnes qui sont avec moi, 
on essaie coûte que coûte de franchir la grande barrière : 
sans succès.
 
J'ai l'idée de transporter la barrière dans le champ voisin,
 pour avoir plus de recul et essayer de sauter encore plus...
sans succès non plus. 

Beaucoup, beaucoup d'inquiétude s'installe. 
Le temps presse.
Un danger indistinct arrive et on sait 
qu'il va falloir passer, coûte que coûte. 
 
Sans réaliser qu'on aurait juste pu contourner cet obstacle 
par la droite ou par la gauche,  sans s'inquiéter de le franchir.
.
 
A écouter ICI
 
.
 

 

2) Le boulanger
 
Je me rends chez mon boulanger de quartier. Je fais la queue.
Je constate que mon boulanger n'est pas mon boulanger, mais mon coiffeur.
Cela m'étonne.
 
Le boulanger est vêtu d'une combinaison jaune,
comme celles que portent les spécialistes en protection chimique ou nucléaire.
Sa tête est surmontée d'une sorte de cloche en plastique souple et translucide,
comme celles que portent les malades italiens atteints de Covid19
et que l'on peut voir à la télévision.
Ses mains portent des gants en plastique blanc, 
ses doigts sont boudinés,
ils ont la consistance de la saucisse. 
 
Il sert les baguettes avec peine.
Dans la queue, tous les clients sont masqués.
je suis le seul à ne pas porter de masque.
 
Arrive mon tour.
Le boulanger refuse de me servir,
car je n'ai pas de masque.
Je sors du magasin, 
honteux.
 
Et je me réveille.
.
A écouter ICI
.
 
 
 
 
3) Le train
 
Je rêve que je suis heureuse 
car un train a été affrété et je peux rentrer chez moi.
J'y monte, je suis seule, tous les sièges sont vides.
Soulagée, je n'ai plus peur.
 
Un message vocal ne cesse de répéter 
que "ce train n'effectuera aucun arrêt jusqu'à destination".
Il roule. Je suis enfin sereine.
 
Nous traversons une première gare,
où je vois sur le quai mes parents et leurs valises.
Le train continue de rouler...
Je crie pour qu'il s'arrête !
 
A la deuxième gare, ma fille est sur le quai, en larmes,
avec ses valises également...
Elle me tend les bras...
Je devine qu'elle crie "Maman !"
 
Je hurle et je cours afin d'atteindre la tête de train 
pour qu'il s'arrête : il va vite, trop vite...
je veux casser les vitres avec mes mains,
je ne peux pas...je n'y arrive pas...
.
 
A écouter ICI
 
(ainsi que beaucoup d'autres rêves)    
 
.



mercredi 15 septembre 2021

Inconscient collectif activé

 
 
Des milliers de rêves personnels concernent simplement
 votre relation avec votre père, ou votre mère, ou votre épouse, etc, 
avec toutes sortes de variations individuelles.
 
Mais supposons qu'un patient arrive à un niveau plus profond, 
ou que son conflit commence à être vraiment grave
 si bien que son esprit en souffre, il peut alors avoir un rêve collectif 
où des motifs clairement mythologiques apparaissent. 
La littérature en compte une foule d'exemples.
.
 
"C.G. Jung parle"
p 252
 
 
 
 
Toute société a des problèmes collectifs, 
des convictions collectives et ainsi de suite. 
Nous sommes très influencés par tout cela.

 (...) 

De fait, tant qu'un conflit personnel ne le touche pas, 
l'inconscient collectif ne pose pas de problème, il n'apparaît pas. 
Mais dès le moment où nous transcendons la sphère personnelle 
et où nous arrivons à des déterminants impersonnels, 
disons à des questions politiques ou sociales 
qui vraiment nous importent, 
nous sommes alors confrontés à un problème collectif, 
et les rêves deviennent collectifs

.

C.G. Jung

"C.G. Jung parle" p 251
Rencontres et interviews

.
 
 
 
 
 
Jung distingue deux situations où l'inconscient collectif est "activé".

La première est une crise dans la vie d'un individu,
le naufrage de ses espoirs et de ses ambitions...

Dans la seconde situation, il est activé à des périodes
de grands bouleversements sociaux, politiques, religieux.
Dans ces moments-là, les facteurs refoulés par les attitudes prédominantes
s'accumulent dans l'inconscient collectif.

Les sujets particulièrement intuitifs perçoivent cela
et essayent de le traduire en idées socialement communicables.
 
S'ils parviennent à traduire les contenus inconscients
dans un langage communicable, le résultat est bénéfique,
car les contenus de l'inconscient avaient des effets perturbants.
.
 
Livre Rouge  p 210
 
.
 
 

 

 

mardi 14 septembre 2021

Aucun homme n'est une île

 Mardi 14 septembre 2021
 
Aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi ;
 tout homme est un fragment du continent, une partie de l’ensemble ; 
si la mer emporte une motte de terre, l’Europe en est amoindrie,
 comme si les flots avaient emporté un promontoire,
le manoir de tes amis ou le tien ; 
la mort de tout homme me diminue, 
parce que j’appartiens au genre humain ; 
aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : 
c’est pour toi qu’il sonne. 
 

 


 

 Il n'existe pas de coupure radicale entre le psychique et le social, 
car je crois que la période de confinement 
qui accompagnait la pandémie du Covid19 
constituait précisément un poste privilégié 
de l'étroite corrélation qui existe 
entre les transformations sociales 
et les transformations psychiques.
 
Pour le dire plus poétiquement,
 pour observer la coïncidence 
des constellations sociales et psychiques, 
comme le dirait Abram Kardiner, 
un psychanalyste qu'il faut redécouvrir :
américain, ancien patient de Freud, 
féru de dialogue avec l'anthropologie.
 
Il était parfaitement conscient lui-même, en tant qu'analyste, 
que la société n'est jamais une toile de fond, 
que le sujet n'est jamais une île...
 
Il était convaincu de l'indissociabilité foncière 
du psychique, du social et du culturel.
.

Hervé Mazurel

.








lundi 13 septembre 2021

Série "En thérapie" : suite sur le thème Covid

 Lundi 13 septembre 2021

 

Il n'y a pas que les chercheurs qui se penchent actuellement

sur les rapports entre la situation générale et l'activité psychique des gens : 

les scénaristes s'y mettent aussi !

 


 

Ce fut le phénomène télévisuel que l’on attendait pas en 2021. “En Thérapie, piloté par Olivier Nakache et Eric Toledano, a secoué le petit écran avec ses trente-cinq épisodes de trente minutes chacun. Un format court et plutôt rare au milieu du règne des maxi séries, mais qui a su séduire le public. 

Pour rappel, le programme explorait le traumatisme des attentats du 13 novembre 2015 au travers de divers patients du psychanalyste Philippe Dayan, joué par Frédéric Pierrot. 

Sur son divan Clémence Poésy, Pio Marmaï ou encore Reda Kateb ont chacun raconté leurs histoires de vie. (...)

Adapté de la version israëlienne BeTipul,En Thérapie ne pouvait pas s’arrêtait là. Si la presse et les fans doutaient de l’arrivée d’une saison 2, qu'ils se rassurent, il y aura bel et bien une suite. 


Une saison axée sur la Covid-19

Pas facile de trouver un traumatisme plus impactant que celui des attentats du 13 novembre. Six ans après les faits, les Français sont toujours secoués par les événements de cette violente nuit. Mais entre temps, bien d’autres cataclysmes ont bouleversé notre société. Depuis début 2020, le monde entier subit l'épidémie de Covid-19

Pour certains, elle a permis de faire le point, pour d’autres, ce fut un bouleversement duquel ils ne sont toujours pas sortis. Dans le bureau du psychanalyste Philippe Dayan, les patients se confronteront à leurs maux et leurs états d’âmes, suite aux confinements, à la perte et à la menace d’un virus toujours mystérieux pour beaucoup.

 

Article ICI

 

 

dimanche 12 septembre 2021

Une pandémie de rêves

 

 


 

Une pandémie de rêves : 

anthropologie de la vie onirique 

en période de crise sanitaire

 
Sophie Gleizes (masterante en anthropologie à l’EHESS) 
et Amélie Barbier (doctorante en anthropologie à l’EPHE) 
ont également enquêté sur l’activité onirique des français 
pendant les deux premiers confinements. 
 
 
Il s’agit d’un projet de recherche dirigé par Charles Stépanoff (EPHE)
 au Laboratoire d’anthropologie sociale.
 
 
Le podcast  ci-dessous est un enregistrement d'une conférence 
tenue lors du séminaire Territoires Affectés à l'EHESS.
 

 

   
 
 
     
Depuis le mois de mars 2020, la situation sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 
a entraîné une crise économique et sociale à l’échelle mondiale. 
Au cours du premier confinement en France, 
nous avons observé un intérêt collectif inhabituel pour les rêves, 
dans les conversations informelles, sur les réseaux sociaux et dans les médias. 
 
L’arrêt des activités professionnelles et l’immobilisation à domicile 
semblent avoir aménagé un espace de réflexion et de partage autour de l’activité onirique ; 
de plus, de nouveaux acteurs, objets et thèmes du quotidien (masques, virus, contamination…) 
ont fait leur apparition dans les récits de rêves.
 
Pour beaucoup de personnes, le rêve a été pendant les confinements et le couvre-feu
 le seul moment d’évasion hors d’un univers cantonné à l’espace domestique ; 
il a pu constituer un moyen de renouer des liens coupés par la distanciation sociale obligée,
 ou de reparcourir des lieux et des espaces interdits. 
Comment les contraintes spatiales et sociales affectent-elles nos territoires oniriques ? 
Au-delà des espaces diurnes, les mesures sanitaires transforment-elles 
nos espaces mentaux nocturnes ? 
 
Notre enquête explore les lieux rêvés de différents informateurs 
afin d’esquisser un portrait onirique collectif de la société française, 
reflet des préoccupations contemporaines d’une population 
bouleversée dans son rapport aux mondes visibles et invisibles.

 .

 

 

 

samedi 11 septembre 2021

Rêver à l'heure du capitalisme et de la pandémie

 
 
A ma grande surprise, je dois dire, 
l’une des questions que je considère comme fondamentale
 a été peu discutée, 
à savoir la manière dont les rêves, comme les plaisanteries, 
donnent des éléments de compréhension 
sur ce qui est réprimé ou refoulé de la conscience 
à une époque donnée.
 
 Il est certain que des découvertes peuvent encore être faites 
en s’intéressant aux rêves d’un point de vue social, culturel ou socio-culturel.

.

Peter Burke

.

 Rêver à l'heure du capitalisme et de la pandémie

 

Concentrés sur les niveaux individuel et universel
de signification des rêves, 
les fondateurs de la psychanalyse n’ont pas toujours vu 
l’existence d’un niveau intermédiaire : 
celui des significations socio-historiques.
 
Aujourd'hui, certains chercheurs
posent l'hypothèse que la vie de nos rêves
n'est pas une production subjective et désordonnée,
détachée de tous les filaments 
qui organisent notre vie dans la société...

Ces chercheurs commencent 
à "pousser les murs"
et à envisager nos rêves 
depuis l'histoire ou la sociologie.
 
Ils cherchent de plus en plus à comprendre 
quelle peut être l'interaction 
entre les événements historiques, sociaux 
et notre vie nocturne...
 
 

Jusqu'à poser cette question très actuelle :
Comment rêve-t-on à l'heure du capitalisme et de la pandémie ? 
 

 

Table ronde enregistrée en mars 2021, dans le cadre du cycle "S’inspirer, respirer".

Bernard Lahire, sociologue; André Loez, historien ; Jean-Marie Durand, journaliste.

 

.

vendredi 10 septembre 2021

Chroniques (oniriques) du confinement

 

La collecte des rêves devient "populaire"...

 

Pendant le confinement, RFI a proposé , 

pendant plusieurs semaines, un espace d’échange 

sur le ressenti face à cette situation exceptionnelle. 

Petits moments de la vie quotidienne.

.

Rêves récoltés par Anne Soetemondt

montage réalisé par Hélène Avril.

 


30 mars 2020  : Rêves de confinés 1


À quoi rêvent les personnes confinées ? 

31 mars 2020 Rêves de confinés 2

 

Un pangolin qui se déplace de branche en branche. 

1er avril 2020 : Rêves de confinés 3

 


2 avril 2020 : Rêves de confinés 4

 

 

10 avril 2020 : Rêves de confinés 5

 

Une manucure fantaisie. 

16 avril 2020 : Rêves de confinés 6

 

Les tapis volants peuvent transporter vers des rêves bleus... 

17 avril 2020 : Rêves de confinés 7

 

Des ours en peluche géants portent des masques, assis sur une chaise, dans une rue de Paris, le 23 avril 2020.

 22 avril 2020 : Rêves de confinés 8

 

Justin Bieber en concert.

1er mai 2020 : Rêves de confinés 9

 


8 mai 2020 Rêves de confinés 10

 

 

 15 mai 2020 : Rêves de confinés 11

 

.

mercredi 8 septembre 2021

Inconscient sous confinement


"On ne rêve pas des mêmes choses, ni de la même manière 
selon les cultures et les milieux sociaux, 
ni selon les générations et les époques", 
explique Hervé Mazurel
.
 
 
 
 
  

Que peut avoir à nous dire notre vie onirique 
pendant l’événement consacré sous le nom de coronavirus ? 
Quelle influence le présent immédiat a-t-il sur notre psychisme, 
quels effets sur notre inconscient ?
  
L’historien Hervé Mazurel est en train de collecter des rêves de confinement 
avec une complice, la psychanalyste Elisabeth Serin. 
 Passionnant ! 

(...)

Promesse d'un nouvel espace de dialogue entre la psychanalyse et les sciences sociales, l'entreprise du binôme propose d’explorer les relations entre l’inconscient et l’histoire collective, d’observer comment les rêves, voies d’accès privilégiée vers les sensibilités et les imaginaires, recèlent aussi des traces du social et de l'appartenance culturelle. Loin de relever du seul domaine de l’intime, les rêves ne sont pas que la poursuite nocturne de notre réalité ou l'ombre du jour : de manière plus ou moins palpable ils (re)construisent le réel.

 

Entretien datant de mai 2020

 (...)

 


 

Le projet de recueillir les rêves du confinement poursuit-il votre numéro La société des rêves paru en 2018 dans la revue Sensibilités

(...) 

...cette collecte, bien sûr, s’inscrit dans une évidente continuité avec « La Société des rêves », ce numéro que j’ai coordonné avec le sociologue Bernard Lahire– l’auteur de cette somme indispensable qu’est L’Interprétation sociologique des rêves (La Découverte, 2018) -, numéro qui visait à montrer notamment que la société ne s’arrête pas aux portes du sommeil pour faire place, en quelque sorte, à l’intime, au plus intime, à ce qu’il y a de plus individuel chez l’individu. En vérité, tout le social, toute la culture, toute notre histoire collective aussi, s’invitent jusque dans les tréfonds du psychisme, jusque dans les profondeurs les plus secrètes de nous-mêmes. Et, par-là, travaillent souterrainement le statut, la matière et les significations de nos rêves.

(...)

Quel rapport l'historien-anthropologue que vous êtes entretient-il au monde onirique ?

Je crois qu’il faut peut-être rappeler aussi ceci : les rêves ne font pas seulement que refléter la réalité, ils la construisent aussi d’une certaine façon. Car les rêves, nous ne l’oublions que trop, sont aussi des acteurs de l’histoire. Selon les lieux, les temps et les cultures, leur performativité historique est plus ou moins palpable selon les croyances qu’on leur associe. Dans l’Occident d’aujourd’hui, nous tenons à affirmer l’existence rassurante d’une barrière étanche entre le rêve et la veille, entre le nocturne et le diurne. Comme si nous tenions à ériger un mur infranchissable entre l’imaginaire et le réel, et, par-là, à mieux nous prémunir de « l’incertitude qui vient des rêves » (Roger Caillois). Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Des Grecs, par exemple, Nietzsche disait que, parce qu’ils croyaient aux rêves, ils voyaient la vie éveillée s’animer d’un tout autre jour. Les anciens Grecs se faisaient donc une toute autre idée de l’entrelacement des rêves et du réel. 

Bien des ethnologues ont donné également l’exemple de groupes humains pour lesquels les rêves nocturnes s’insèrent étroitement dans la trame de l’existence quotidienne. Par exemple, les Indiens Mohaves, étudiés par l’ethnopsychiatre Georges Devereux : pour eux, rien n’arrive jamais qui n’ait été auparavant rêvé par quelqu’un. Dire ceci, c’est rappeler simplement que le rôle attribué aux songes demeure toujours fonction de la culture d’appartenance. 

Et il faudrait méditer longuement ici ce propos de son ami Roger Bastide : « Le rêve nous paraît magique parce que nous ne savons plus ce qu’est le sacré ».

Quelles grandes tendances se dessinent de ces rêves de confinement ? Il y a des schémas de rêves récurrents ?

Soyons clairs : dans les bribes de rêves qui nous sont parvenues jusqu’à présent, nous ne pouvons à ce stade que soupçonner quelques tendances de fond, quelques courants de profondeur.

Je suis d’abord frappé par plusieurs témoignages d’analysants, de gens qui ont l’habitude d’être à l’écoute de leurs rêves et de les noter au petit matin. Plusieurs de ces personnes me disent être réveillées systématiquement au milieu de leur rêve, sans qu’aucun d’eux n’arrive jamais au bout. Une autre m’a témoigné être très surprise du fait que, depuis l’annonce du confinement, elle ne retient plus que des images de ses rêves sans aucun lien ni narration associée. Une chose est sûre : l’événement dans lequel nous sommes pris, si global et transgressif à la fois, renforcé par l’expérience du confinement, ont bouleversé en profondeur la vie habituelle des rêveurs.

Pour l’instant, il y a bien sûr quelques thématiques dominantes : Elizabeth Serin a noté l’importance des questions relatives aux soins, aux distributions de masques et de médicaments, aux difficultés des interventions hospitalières (quoiqu’il y ait aussi des rêves de sauvetage in extremis). Elle a souligné plus généralement l’importance des rêves de contamination et d’hospitalisation, comme de ceux portant sur la solitude des mourants et les deuils impossibles qui suivent la mort de proches privés de notre présence. Elle a repéré aussi – fait très intéressant pour l’historien – la présence, chez les représentants d’une certaine génération, de rêves de contamination sexuelle dans lesquels le Covid-19 semble comme un après-coup de l’époque où est apparu le sida.

Les premiers temps surtout, on a pu constater aussi l’importance des rêves de pénurie, de panique collective, de rixes aussi. Je ne saurais dire à ce stade s’ils perdurent. Je vois poindre en ce moment une montée de rêves d’ailleurs et de lointains. On aspire au plaisir des bains de mer, à la solitude des cimes montagnardes, aux libres promenades en forêt…Ou mieux : à s’envoler vers quelque île paradisiaque, restée miraculeusement protégée de la pandémie. 

Mais ces confins sont aussi parfois tout près de chez nous : aller librement au marché, acheter ce que l’on veut où on veut, boire un verre en terrasse, dîner au restaurant, voilà qui suffit à alimenter nos rêves de liberté retrouvée. Et puis, en matière d’échappée belle, il y a, nous disent les psychanalystes de notre entourage, une certaine recrudescence des rêves érotiques comme substituts à l’angoisse du moment – même si l’on nous envoie peu de récits de ce type pour la collecte, du fait d’une certaine inhibition, semble-t-il, à communiquer ces rêveries-là. L’époque serait-elle plus puritaine ou pudique qu’elle ne se l’avoue ? Je le crois volontiers.

 

Quelle influence ce confinement aura-t-il selon vous sur notre psyché ? Est-il seulement possible de prévoir ici ?

L’atmosphère mentale dans laquelle nous sommes depuis plus d’un mois a quelque chose de proprement surréel. Que la réalité outrepasse la fiction à ce point, c’est un fait rarissime. Nous n’aurions probablement jamais cru que trois milliards et demi de personnes puissent être confinées dans le monde en l’espace de quelques semaines… Et je ne serais pas surpris qu’un tel événement puisse en quelque sorte libérer les imaginaires des bornes qui étaient leurs il y a quelques semaines encore.

On peut penser qu’un tel événement puisse donner lieu chez beaucoup de gens à l’avenir, chez les plus angoissés notamment, à un foisonnement de rêves de chaos et de mouvements de panique, à des cauchemars de fin du monde, d’effondrements de civilisation …

Mais à ce pôle "infernal" pourrait s’adjoindre chez d’autres, voire les mêmes, un pôle qu’on pourrait dire "édénique" (lui-même en constante métamorphose), où les rêveurs auraient au contraire besoin de se rêver à l’abri, ailleurs, au loin, dans quelque paradis perdu, vierge de tout coronavirus, ou, plus simplement encore, le besoin de se réfugier dans la nostalgie de l’autrefois, dans cet « avant » d’autant plus fantasmé qu’on ne le reverra jamais comme tel…

Mais voilà : je ne suis qu’un historien ; le futur n’est pas mon métier.

 

 

 

dimanche 5 septembre 2021

Rêves étranges pendant la pandémie

 

La dessinatrice de rêves

 

Cette nuit, j'ai rêvé que je voyageais vers la lune sur un oiseau à tête de chat.
Cette nuit, j'ai rêvé que je jouais du violon avec une tong en guise d'archet.
Cette nuit, j'ai rêvé qu'une danseuse voulait me payer pour baby-sitter son pangolin.
 

Un rêve, c'est absurde.
 Mais alors un rêve confiné, c'est carrément lunaire. 
Vous n'avez pas remarqué ? 
Durant le confinement, on se souvient mieux de ses rêves
 et ils prennent des formes encore plus bizarres,
 comme un sas de décompression. 
Et pour mieux vous en rendre compte, 
la dessinatrice Laura Disegna les dessine.
 
 
 


Depuis le début du confinement, elle a remarqué 
qu'un rêve sur trois qui lui est envoyé concerne de près ou de loin le sujet. 
Elle en a reçu 200, et tous les 3 jours, 
elle en publie 1 sur son compte Instagram. 
Ça donne des petits choses aussi drôles que poétiques, 
aux airs de Dali, aux couleurs de Magritte. 
Et oui, quand vous rêvez, vous êtes un peu artiste. 
Alors bonne nuit !
 

Laura Disegna dessine vos rêves, 
envoyez-lui le vôtre. 
 
 
 
 
 
 

 
 

 
... 
 
 
  + Rêves (farfelus) de québécois
 


 

samedi 4 septembre 2021

Cauchemars fréquents pendant la pandémie

  5 septembre 2021



 

Rêve de la mort

La mort d'un proche peut renvoyer à l'angoisse de l'abandon : on craint de perdre un ami, un membre de la famille... par exemple à cause de tensions. Dans notre contexte, ce genre de rêve est particulièrement fréquent, selon Tristan-Frédéric Moir.

"Face à l’épidémie, nous nous trouvons confrontés à une angoisse de mort. Elle vient nous rappeler à une réalité implacable ; nous sommes tous mortels et, même si le terme naturel peut être lointain pour beaucoup, la mort peut survenir brutalement, touchant nos proches ou nous-même. Le virus nous rappelle à cette donnée pour que nous ne l’oubliions pas. Les rêves qui mettent en scène cette notion peuvent nous rappeler que chaque instant que nous vivons est un moment précieux qu’il faut vivre intensément en n’oubliant pas que la vie est éphémère. Peut-être est-il important alors de prioriser certaines choses à d’autres".

 


L'enfermement

Le confinement a pu réveiller des angoisses d’enfermement, ou une claustrophobie. "Cette angoisse peut être en résonance avec notre enfance, si nous avions le sentiment d’être cloitré dans le cadre familial et/ou d’être privé de beaucoup de liberté, nous indique le spécialiste du langage du rêve. De façon plus contemporaine, si nous vivons avec quelqu’un qui serait demandeur de beaucoup d’attention ou étouffant, ce sentiment peut être d’autant plus fort par le ressenti d’emprise que nous aurions vis-à-vis de la personne avec laquelle nous sommes confinés".

En outre, selon le psychanalyste, ce sentiment a pu être davantage exacerbé si le confinement s’est déroulé dans un appartement assez exigu avec conjoint et enfants. "Ces derniers peuvent se révéler de véritables tyrans si le cadre était assez laxiste précédemment. Inconsciemment, ils peuvent être perçus comme des virus qui nous rendent malades, nous étouffent et qui vont finir par avoir notre peau".

 


 

Je suis envahi d'insectes 

C’est le symptôme typique de la peur du virus, selon le spécialiste. "Surtout si les insectes sont noirs : ils représentent des parasites. Ça peut être une visualisation symbolique du virus. Si les insectes tentent d’entrer dans votre maison pendant le rêve, c’est qu’il y a des formes extérieures qui peuvent vous menacer".

"Les rêves d'intrusion peuvent être liés à la peur de l'infection, la maison étant la représentation symbolique du moi psychique. C'est la peur du dehors, de l'extérieur hostile et de la pénétration psychique".

Attention, petite nuance à connaître. S’il y a un seul insecte dans votre cauchemar, cela ramène à un inceste, "mais uniquement si l’insecte apparaît comme menaçant", ajoute l’expert.

 


Je suis dans le noir

"Les rêves d’obscurité font référence au manque de visibilité auquel nous sommes tous soumis en ce moment. Nous ne savons pas où nous allons, ni quand va se dissiper la pandémie. Nous sommes tributaires de nos dirigeants et des « savants » qui décideront de notre totale remise en liberté", interprète Tristan-Frédéric Moir.

 


Je rêve que je n'ai pas mon attestation

"Certains font des rêves qui les mettent en situation d’absence de la fameuse attestation de sortie dérogatoire lors de contrôle. L’angoisse qui s’ensuit est relative à un sentiment d’illégitimité. De façon générale, c’est un doute d’identité qui est symbolisée le plus souvent par l’absence de papiers d’identité ainsi que la manifestation d’un Surmoi trop fort (les policiers, les contrôleurs) donc, d'un déficit du Moi. Ces conditionnements nous entravent dans l’affirmation de nous-même, dans nos déplacements et notre liberté", note le spécialiste.

 


Je suis poursuivi

Ce stéréotype de rêve revient dans une grande partie de la population, note Tristan-Frédéric Moir. "Ce sont des souvenirs qui reviennent et mettent en scène des angoisses qui vous rattrapent. Avoir les jambes qui refusent d’avancer est synonyme d’angoisse. Cela vient principalement de l’enfance, mais ce rêve peut aussi se présenter chez une personne harcelée dans son travail". 

En outre, ce rêve est également récurrent chez les femmes ayant subi une agression sexuelle, semble-t-il. "Quand un homme lui court après dans la réalité, elle peut le ressentir comme une menace". 

Si vous êtes concerné par ce rêve, il faut en rechercher les causes. "Je conseille à la personne de se retourner pour voir qui ou quoi la poursuit, préconise le psychanalyste. L’idée est de se programmer avant de dormir, pour se retourner pendant le rêve. Face à des rêves de type cauchemardesque, j’invite les personnes à se suggestionner pour agir différemment dans le rêve".

 


 

J'ai perdu mes dents

"On entend souvent que ce cauchemar est associé à la mort d’un proche. C’est faux, clarifie l’expert. Ce type de rêve est davantage lié à une perte de vitalité ou à un grand stress. Autrefois, lorsqu’on avait une mauvaise hygiène de vie, cela se voyait sur nos dents. Inconsciemment, ce n’est donc pas pour rien qu’on fait ce rêve. Il peut signaler une période de stress et de surmenage".

 


 

Je suis perdu et je ne retrouve plus mon chemin

"Ce rêve peut être le symptôme que l’adulte manquait de codes durant l’enfance. Ses parents ne lui ont peut-être pas inculqué suffisamment de clés et de codes pour évoluer dans la société", interprète le spécialiste.

"Si vous êtes perdus dans un labyrinthe, cela peut aussi signifier que vous errez dans un milieu sans savoir qui vous êtes réellement. Vous doutez sur vous-même et sur votre propre identité. Vous vous infligez trop d’interdits dans votre tête. Vous ne vous sentez pas légitime par rapport à vos propres désirs, une signification semblable à celle du rêve dans lequel vous n’avez pas votre attestation".

 

Tristan Frédéric Moir

 

 

 

 

jeudi 2 septembre 2021

Histoire sociologique des rêves

 2 septembre 2021


 "Saisir la façon dont le social et l'histoire travaillent souterrainement 
la structure, le matériau et les significations même du rêve, 
voilà donc qui pourrait dérouter bien des habitudes de pensée",

écrivait Hervé Mazurel en 2018 dans la revue "Sensibilités"

. 

 

L’être humain n’a été, n’est et ne sera jamais le même

Entretien avec Hervé Mazurel

(extraits d'un article plus long)

.

L’histoire de l’histoire des rêves

P.M. Et donc le propos de ce numéro de Sensibilités, c’est l’histoire sociologique des rêves. Mais pourquoi ?

 
H.M. Parce que les sciences sociales ont quelque chose d’important à dire sur les rêves. Sur leur imprégnation par le social (les inégalités, les ambitions, les frustrations, les dominations sociales qui s’y expriment). Or ce n’est pas très connu. On en sait beaucoup plus long sur l’histoire des interprétations savantes, du type psychanalytique ou, plus récemment neuroscientifique…

P.M. Et avant, ce qu’on connaît bien aussi comme “interprétations savantes des rêves”, ce sont les présages liés aux religions, c’est ça ?

 
H.M. On parlerait plutôt des interprétations populaires des rêves, ce qu’on appelait la tradition des “clefs des songes” : quand on reconnaît tel ou tel symbole, qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce que ça signifie, quel est le présage qu’il faut lire dans tel ou tel moment du rêve ? Tout cela, on connaît assez bien, et depuis assez longtemps. Grâce notamment aux travaux dirigés par l’historienne Jacqueline Carroy, grande spécialiste de l’histoire des rêves.  

Mais pour Bernard Lahire, les sciences sociales, c’est-à-dire la sociologie, l’histoire et l’anthropologie, ont d’autres choses à dire sur le rêve. Il y a des couches de signification du rêve qui ne sont travaillées ni par les psychanalystes ni par les neuroscientifiques. Donc il faut que les sciences humaines s’approprient elles aussi les rêves comme objet légitime d’enquête.

Il s’agit non plus de tourner autour du rêve, mais d’entrer dans le rêve, dans la fabrique même du rêve, et de se risquer à une interprétation sociologique, anthropologique, historienne, du rêve. Ne pas seulement rester sur le pourtour en quelque sorte. Se demander : qu’est-ce qu’un rêve dit de la société, des groupes sociaux, des dominations sociales, des inégalités sociales, des propriétés sociales (et pas seulement familiales) du rêveur ? Qu’est-ce qu’un rêve dit de la culture même à laquelle il appartient, de ses valeurs, de ses mythes, de ses modes affectifs, de sa culture sexuelle par exemple ? Qu’est-ce qu’un rêve enfin dit de l’histoire passée, du sujet rêvant et de l’histoire collective qui l’a fait tel qu’il est ? Bref, comment l’histoire, la sociologie, l’anthropologie peuvent-elles s’emparer du rêve pour en faire un matériau scientifique à part entière pour les sciences sociales ?

Et là-dessus il n’y a pas grand chose. Il y a bien eu quelques expériences dans les années 1970, et quelques précurseurs mais, globalement, il n’y a pas grand chose. Ce n’est pas une Terra Incognita absolue des sciences humaines, mais quand même. Bernard Lahire a vraiment poussé très loin ce geste dans son livre, d’autant que c’est une enquête de vingt ans, à la fois théorique et empirique. Car un second tome va paraître, riche de nombreux témoignages de rêveurs. Et, de ce point de vue, notre numéro est une sorte d’excroissance, si l’on peut dire, de ce livre. Même si on trouve en son sein bien d’autres voix, des approches plurielles.

P.M. Oui, vous avez notamment diversifié les disciplines, c’est cela ?

H.M. Oui, mais aussi les espaces géographiques ; il y a une enquête sur les rêves de la jeunesse à Santiago du Chili, une enquête sur les rêves dans le monde kanak… Il y a aussi toute une étude dans la revue sur les songes autobiographiques au Moyen-Âge, une autre sur les rêves politiques au XIX° siècle, on approche aussi les rêves des colonisés dans les colonies britanniques… L’un des projets fondamentaux de la revue Sensibilités, c’est justement de sortir des carcans disciplinaires et de dire qu’au fond les sciences humaines partagent un même langage. À chaque fois, selon qu’il s’agit d’un historien ou d’un politiste, d’un anthropologue ou d’un psychologue, ce n’est qu’une manière particulière d’entrer dans l’interprétation des rêves, d’un fantasme, d’entrer dans l’étude de l’imaginaire. Ce sont là autant de portes d’entrée. Mais si on s’enferme dans sa discipline, au bout d’un moment, on finit par ne plus voir ce qu’on ne sait pas. On sature tellement le thème de recherche depuis notre propre et seule discipline qu’on ne voit pas tout ce qu’on laisse au pourtour, aux marges, dans l’angle-mort.

L’idée c’est donc de croiser ici toutes ces dimensions-là, mais en mettant en valeur chaque fois la dimension collective du rêve, en tentant de voir comment ce qu’il y a de plus social et collectif s’insinue jusque dans le plus individuel. Car a priori, on tend à penser le rêve comme ce qu’il y a de plus individuel dans l’individu, de plus subjectif. On a en quelque sorte l’impression que la société s’arrête aux portes du sommeil. Eh bien non…

P.M. Il y a le fantasme : vous pourrez m’enfermer, mais vous ne pourrez jamais prendre mes rêves

H.M. Absolument, vous n’y aurez pas accès, c’est ma prison. Mais en fait, à l’intérieur de nous-même, le rêve est travaillé par des problématiques sociologiques en permanence. On emmène dans nos rêves nos conflits avec nos patrons, ou avec nos collègues, ainsi que des frustrations sociales par rapport à nos ambitions, professionnelles par exemple ; on emmène aussi des faits de génération, parce que les rêves diffèrent profondément d’une génération à l’autre, étant donné que ce ne sont pas les mêmes censures, les mêmes interdits, les mêmes tabous, etc.

Parce que le sociologique, ce n’est pas seulement l’appartenance à tel groupe social, classe laborieuse ou dirigeante, ce sont aussi les appartenances genrées et sexuelles : quelles sont mes préférences sexuelles et qu’est-ce qui s’en transporte, s’en dit dans mes rêves ? Ce qu’il faut au fond, c’est commencer par distinguer l’ensemble des appartenances du sujet en question (le rêveur). Pas seulement socioprofessionnelles, mais territoriales, religieuses, sexuelles, générationnelles aussi, ou encore s’attarder sur la langue dans laquelle il rêve, parce qu’on ne rêve pas de la même façon dans toutes les langues, etc. Bref, il y a plein de choses à traquer dans le rêve pour les historiens, les anthropologues et les sociologues. Même si c’est tout sauf un sujet facile d’approche, tant tout ici est fugace, fragile, incertain.


sociologie rêves mazurel lahire
 
 

Ce n’est pas une agression à l’égard de la psychanalyse que de dire tout cela. Nous sommes tous marqués par la psychanalyse et si nous sommes venus travailler sur le rêve, c’est bien parce qu’il y a eu une interpellation de la part de la psychanalyse à l’endroit des autres sciences humaines. En revanche, nous disons “Attention à ne pas répartir les tâches un peu trop facilement” : ce qui serait a priori du subjectif relèverait des sciences de la psyché, de la psychanalyse, la psychologie, la psychiatrie, et puis après les neurosciences, tandis que ce qui a trait au collectif, au groupe, aux masses concernerait les sociologues, les politistes, les historiens, les économistes, etc. Mais en fait, ce que nous souhaitons rappeler, c’est que le collectif, il est là jusque dans le plus individuel, le plus intime. Et donc une des grandes ambitions du numéro, c’est bel et bien de sortir du divorce entre le psychologique et le sociologique, lequel coûte beaucoup aux sciences humaines. Il faut au contraire travailler selon nous à leur intersection et sortir une bonne fois de l’opposition factice entre individu et société.

(...)

Au cœur du rêve

P.M. Alors, donc, quand on étudie sociologiquement les rêves, qu’est-ce qu’on découvre, finalement ?

 
H.M. Eh bien, déjà, on découvre des choses… Citons dans le numéro, par exemple, un article très précieux de Peter Burke, un très grand historien anglais, qui a remarqué la très forte pénétration du politique dans l’univers onirique des hommes et des femmes du XVII° siècle en Angleterre. Les deux grandes révolutions anglaises s’invitent au plus intime, dans les rêves des sujets britanniques. Et il constate ici, plein de bon sens, qu’on ne peut pas les interpréter en ramenant sans arrêt la figure du roi à la figure du père, ce qu’aurait tendance à faire l’approche psychanalytique. Le roi, dans les rêves, est parfois un roi. Bel et bien. Il faut prendre garde quand on est historien du rêve à ne pas opérer cette réduction familialiste constante et très freudienne, à ne pas puiser dans ce qu’on pense être un répertoire universel de symboles, mais rester attentif, au contraire, à la polysémie historique et culturelle des symboles.

Il n’est pas interdit de penser que tous les objets allongés ne se réduisent pas, en tous lieux et en tous temps, à des symboles uniquement phalliques. Comme vous savez, la grande thèse freudienne, c’est que le rêve est toujours l’expression déguisée de désirs sexuels refoulés. Sauf qu’il y a toujours chez lui la volonté de trouver, comme le regrettait Wittgenstein, une clé unique à même d’ouvrir le sens de tous les rêves et une tendance nette au pansexualisme, même s’il s’en défendait.

Je crois aussi qu’il faut prendre garde à la réduction familialiste permanente, c’est-à-dire au fait qu’en psychanalyse, finalement, toutes les figures sociales du rêve (les patrons, les collègues, les ouvriers, les rois, les clowns, que sais-je…) soient sans cesse rabattues vers le père, la mère, le frère, la sœur, etc. Bref, systématiquement ramenés vers la cellule familiale. Comme si dans un rêve ne pouvaient pas exister des figures sociales qui sont ce qu’elles sont, en quelque sorte. Le patron peut être un patron dans un rêve, sans être nécessairement un père ; un collègue n’est pas forcément à ramener à la figure du frère ou du beau-frère qu’on aime ou déteste ; une femme qu’on désire à la figure de la mère ou de la sœur, etc. Très souvent, il est vrai qu’on peut l’y ramener. Mais ce n’est pas toujours le cas. Ça, cela me paraît très important. Éviter le systématisme de ce genre d’explication. Et par là le forçage du sens.

L’exemple le plus clair, c’est sans doute le livre Rêver sous le III° Reich, de Charlotte Beradt, juive, communiste, une proche de Hannah Arendt sans être une intellectuelle à proprement parler. C’est pour résister au nazisme, dira-elle plus tard, qu’elle a collecté dans les années 1930 près de 300 rêves d’Allemands issus de toutes les couches sociales, allant des rêves de femmes de ménage jusqu’à ceux de grands patrons, dans un panel sociologique très riche. Il y a évidemment de grandes différences entre ces rêves, mais il y a aussi des constantes particulièrement intéressantes. Et ce que ces rêves signalent avant tout, c’est la lente disparition des frontières du public et du privé. La grande angoisse de ces rêveurs, ce sont par exemple les murs des maisons qui s’effondrent, l’impression d’être toujours sur écoute, la crainte d’être arrêtés pour des comportements non-conformistes, des choses comme ça. On voit bien comment la terreur hitlérienne, comment la situation politique de l’Allemagne nazie entre 1933 et 1939 finit par s’inviter aux creux des rêves, par s’inscrire jusque dans la matière onirique et par influer sur la structuration même du rêve chez ces individus angoissés, sinon terrorisés par ce qu’ils vivent sous le III° Reich. On voit donc ici là encore comment du politique peut s’insinuer jusqu’aux tréfonds psychiques des individus.

Voilà les premières choses que l’on remarque. Alors toute la difficulté, pour nous historiens, pour que ça soit véritablement signifiant, c’est qu’on ne peut pas seulement se baser sur un rêve, il faut essayer de trouver dans les archives ou dans nos sources des séries de rêves, séries qui vous renseignent sur l’existence de thèmes, de figures sociales, d’événements historiques redondants… Pour revenir à aujourd’hui, il serait peut-être intéressant par exemple de voir jusqu’où la problématique écologique aujourd’hui – du besoin de nature jusqu’aux angoisses de fin du monde – s’invite dans nos rêves beaucoup plus qu’autrefois. Je parierais volontiers là-dessus, alors que d’autres problématiques, celle du Diable sans aucun doute, ont largement disparu de nos rêves aujourd’hui.

Il existe donc des figures récurrentes dans nos rêves, qui sont comme des symptômes d’anxiétés typiques d’une époque… Et qui préparent peut-être aussi des “névroses d’époque”, des troubles psychiques caractéristiques d’un temps ou d’un groupe culturel ou d’un groupe social. Pour être plus précis, il faudrait faire ici un détour par tout un champ d’étude qui s’appelle l’ethnopsychiatrie, héritière des travaux de Georges Devereux

P.M. Pour laquelle ce ne sont pas les mêmes névroses selon les latitudes, on peut le dire comme ça ?

 
H.M. Voilà c’est ça, ni les mêmes noms, ni les mêmes formes, ni les mêmes soins. Le danger, ici, c’est l’universalisation abusive. C’est notamment de partir des nosologies de la psychiatrie telle qu’on la pratique et la connaît aujourd’hui en Occident, de partir de catégories médicales qu’on considèrerait universelles alors qu’elles ne le sont pas. L’exemple typique, c’est peut-être celui du syndrome post-traumatique. C’est une notion qui a été inventée après la guerre du Vietnam, laquelle a vu presque un tiers des soldats revenir traumatisés. Souvent dans l’après-coup d’ailleurs, pas tout de suite, mais 5-6 ans plus tard. Avec des symptômes spécifiques : repli sur soi, désocialisation, crises d’angoisses, cauchemars de reviviscence…

 


 

C’est alors qu’on a forgé cette notion de syndrome post-traumatique, qui renvoyait bien sûr à tout un savoir sur les névroses de guerre, mais qui n’existait pas avant comme tel, ou très différemment. Et maintenant cette notion, à force de s’étendre, est déjà très différente, puisqu’elle ne s’applique plus seulement aux anciens soldats, mais aussi à tous ceux qui ont fait face à des catastrophes d’ampleur, qu’elles soient naturelles (typhons, tsunamis, etc) ou humaines (type Fukushima ou 11 septembre). Bref, elle renvoie à des expériences traumatisantes liées à des situations de danger terrible pendant lesquelles des gens ont réellement craint pour leur vie. Mais si on applique ce concept étroit, psychiatrique et seulement psychiatrique, à l’ensemble des individus des sociétés du monde, on laisse échapper des spécificités culturelles et des névroses culturelles typiques qu’une catégorie si englobante ne permet plus de voir. Et on applique une méthode cathartique – la libération par la parole d’affects refoulés, réprimés – qui n’est pas valorisée partout dans le monde, parce que dans certaines cultures le partage public des émotions n’est pas valorisé, accepté, donc libérateur.

En somme, ça pose la question de savoir ce qui est vraiment universel : qu’est-ce qui est partagé par toutes les populations du monde et qu’est-ce qui, au contraire, varie toujours du fait de la diversité culturelle ?

Au cœur de l’humain

P.M. Et alors, qu’est-ce qui est universel ?

 
H.M. Est-ce qu’il y a des invariants ? Est-ce qu’il y a un universel ou des universaux qu’on retrouve d’une culture à l’autre ? Je crois pour ma part à l’historicité de presque tout et suis donc très attentif aux variations culturelles d’une société à l’autre. Mais ce qu’on me paraît retrouver dans toutes les cultures, c’est le contrôle pulsionnel. Dans toutes les cultures, on apprend aux enfants à maîtriser certains comportements, certains émotions, certaines pulsions spontanées. Ce contrôle pulsionnel existe et se pratique partout et à toutes les époques. En dehors de cela, et du seul fait qu’il existe, et non pas, et c’est très important, de la forme qu’il prend, de ce sur quoi il porte, tout varie partout, et dans de grandes proportions. Ce qui existe, et je serais très freudien ou nietzchéen plus encore, ce sont des pulsions, qu’on apprend à contrôler, qu’on s’efforce de contrôler. Soit en le refoulant, soit en les sublimant.

Au-delà de ça, tout varie sans cesse. Mais, dans toutes les cultures, il y a des comportements qui sont prohibés et d’autres qui sont prescrits, des attitudes, des pensées, des affects qui sont soit licites, acceptés, soit interdits, refoulés. Et ces lignes-là (qui finalement travaillent les rapports entre le conscient et l’inconscient), entre le prohibé et le prescrit, entre le licite et l’illicite, varient selon les sociétés, varient selon les générations, selon les milieux, etc. Ce qui va être l’objet d’une censure et d’un refoulement ailleurs ne l’est pas nécessairement ici, et inversement.

Par exemple, on trouve dans la revue un article d’un historien américain Erik Linstrum portant sur les rêves et les rêveurs dans les colonies britanniques du premier XXe siècle. Y sont examinées des grandes collectes de rêves faites durant les années 1920, en Océanie, en Afrique, aux Indes, par une équipe formée par l’anthropologue et fonctionnaire de l’empire britannique Charles Seligman, un passionné de psychanalyse, qui voulait mettre cette dernière au service d’une meilleure connaissance – et donc d’une meilleure administration – des sujets colonisés de l’Empire britannique. Il espérait aussi par là montrer l’universalité des thèses freudiennes – celle du complexe d’Oedipe notamment.

 


Or ceux qui récupéraient les rêves des populations locales se sont vite rendus compte qu’on ne retrouvait pas forcément partout dans le développement de l’enfant à l’adulte les mêmes stades décrits par Freud – les stades anal, oral et génital -, ou alors qu’on ne retrouvait pas partout un semblable refoulement sexuel dans des sociétés qui étaient parfois beaucoup plus libres sexuellement et où l’éducation des jeunes était beaucoup plus permissive, bref, où on ne voyait pas les mêmes tensions sexuelles s’exprimer dans le contenu latent des rêves. Et ce, précisément parce qu’il n’y avait pas d’interdits aussi pesants, pas les même tabous entourant le domaine sexuel que dans l’Europe d’alors.

En revanche, ce qui est universel, c’est bien le fait que dans toutes les sociétés, on apprend aux enfants à maîtriser certaines pulsions, à les détourner ou à les canaliser. Après, quelles pulsions, jusqu’à quel degré, dans quelle direction on les détourne, via quelles sortes de sublimation… tout ça diffère profondément d’une société à l’autre. Mais il n’y a pas une société où on n’enseigne pas à maîtriser ses pulsions ou ses émotions, même si ensuite cet enseignement est toujours culturellement orienté.

P.M. D’accord, et ces différences alors ? Ces différences psychiques fortes, ces façons de ressentir et de dire ses émotions, quelles sont-elles, dans l’histoire de notre propre culture occidentale ?

 
H.M. Il y a eu par exemple beaucoup de travaux dans les années 1920, 30 et 40 sur la vie affective et mentale des sociétés d’autrefois. Par exemple, le très beau livre de Johan Huizinga L’Automne du Moyen-Âge, auquel fait écho un autre grand livre de Marc Bloch, La Société féodale, tous deux mettant en exergue le fait que l’émotivité médiévale était beaucoup plus forte que la nôtre, beaucoup plus expansive, parce que la vie elle-même était beaucoup moins sécurisée, sécurisante, beaucoup plus fragile et menacée qu’aujourd’hui en Europe. Les sautes d’humeur étaient nettement plus brutales, on passait plus rapidement de grandes joies à des grandes tristesses et de façon beaucoup moins contrôlée, l’émotivité était plus paroxystique dans un sens ou dans un autre. Et la rationalisation des comportements, la répression des émotions spontanées, le réfrènement des pulsions, c’est quelque chose qui historiquement est allé croissant au fil des siècles comme l’ont montré un Lucien Febvre et, plus encore, Norbert Elias, qui a donné un nom à cette évolution : le processus de civilisation.

L’acmé de ce processus de régulation pulsionnelle et émotionnelle, c’est sans nul doute la société victorienne, le comportement des élites anglaises du XIX° siècle. Des moeurs particulièrement corsetées, des conduites surveillées, de la gêne, de la pudeur, des émotions particulièrement retenues. L’Anglais de la fin du XIX° siècle ne veut plus pleurer… Darwin, le grand savant britannique, en était d’ailleurs très fier. Pour lui, la grandeur de l’homme anglais tenait notamment dans sa capacité à ne plus pleurer, tellement il avait appris à ne pas pleurer, à être fort et raisonné. Contenir, réprimer ses émotions est devenu un impératif social, un moyen de distinction. Ce qui a pu déboucher sur des conflits psychiques particulièrement aigus. Depuis le début du XX° siècle, et surtout depuis les années 1960-70, on note une moindre surveillance de nos émotions, une communication autour de nos émotions beaucoup plus admise qu’autrefois. L’expression de ses émotions est aujourd’hui beaucoup plus valorisée et souhaitée qu’auparavant. De là, des profils psychiques très différents, d’autres structurations de la personnalité. C’est ce que des sociologues hollandais comme Cas Wouters, un ancien étudiant de Norbert Elias, appelle “l’informalisation des conduites”. Nos moeurs sont plus relâchées, nos conduites moins formelles, nos pudeurs moindres qu’à la fin du siècle dernier, en matière sexuelle notamment.

Mais pour en revenir à l’émotivité médiévale, il ne s’agit pas du tout de dire que les hommes du Moyen-Âge étaient des “barbares” ou des “sauvages” qui ne savaient pas se maîtriser. Il s’agit simplement de rappeler que les conditions de vie étaient telles, en termes de mortalité et de mortalité infantile notamment, d’épidémies, de guerres, de risques de pillages et ainsi de suite, que, au vu de cet environnement social et politique instable, les régimes émotionnels différaient, les cultures affectives étaient autres. On ne pouvait pas avoir les mêmes attitudes à l’égard de la vie, à l’égard de la mort. De sorte que l’historien se doit de retrouver ces autres univers mentaux et affectifs en refusant à tout prix l’anachronisme psychologique.

Autre exemple, mis au jour par un chercheur anglais, qui travaille à nos côtés pour la revue, même s’il ne figure pas au sommaire de ce numéro : Thomas Dodman. Sa thèse portait sur un phénomène assez inouï, qu’on appelait la nostalgie. Au début du XIX° siècle, dans les années 1840, chez les soldats français qui partaient faire la conquête de l’Algérie, un mal s’est répandu à très grande vitesse qu’on appelait justement “la nostalgie”. C’était une sorte de mal du pays, particulièrement puissant, qui touchait avant tout les soldats venant de régions enclavées, des Alpes, du Massif Central, des Pyrénées, et qui mouraient, littéralement, du mal du pays une fois en Algérie. C’était même contagieux, d’ailleurs, car au bout d’un moment les officiers ont fini par séparer les individus atteints de ce mal pour ne pas qu’ils le fassent passer au reste de la troupe. Et à la fin, ce qu’on appelait, médicalement donc, la nostalgie, a fait autant de morts que le typhus et la malaria chez les soldats qui partaient combattre en Algérie.

P.M. Quelle est l’explication de l’historien ?

 
H.M. Ça s’explique sans doute parce que ces gens-là vivaient généralement dans un rayon de vingt kilomètres autour de chez eux : nous sommes au début du XIX° siècle, avant la grande expansion des chemins de fer, avant l’exode rural massif. Or, tout d’un coup, cet arrachement culturel et territorial à ces petites communautés chaleureuses de l’entre-soi a pu générer chez ces hommes des affections psychosomatiques, des troubles importants, des souffrances d’abord psychiques mais qui avaient très rapidement des répercussions physiologiques graves, puisque, je le répète, ces maux débouchaient sur une mort à proprement parler. Or, de ce que je sais, ce type d’atteinte ne semble pas exister chez les soldats contemporains qui partent en Afghanistan ou au Pakistan. Peut-être parce qu’il y a une plus grande habitude du voyage, de l’éloignement, peut-être parce que l’attachement au pays natal ou à la région est beaucoup moins fort qu’autrefois, parce que les soldats actuels sont mieux préparés à l’expérience de ces guerres lointaines… La vraie raison, si tant est qu’il y en ait une seule, n’est pas connaissable. C’est comme un trouble d’époque, disparu aujourd’hui : désormais le mot “nostalgie” a pris une toute autre acception. Mais à l’époque, c’était une catégorie médicale, qui désignait ce mal-là précisément. 


 

P.M. Comment mouraient-ils ?

 
H.M. Ils dépérissaient. Au début on aurait dit une sorte de dépression, une perte de goût pour l’existence, ce qu’on appellerait, nous, une déprime mais, petit à petit, ces soldats ne s’alimentaient plus, s’affaiblissaient, s’isolaient, le corps s’atrophiait et finissait par tellement s’atténuer que mort s’ensuivait.

P.M. Cela rappelle l’expérience de certains réfugiés cambodgiens, qui mouraient littéralement de cauchemars (et dont l’histoire a d’ailleurs inspiré le film Les Griffes de la Nuit).

 
H.M. Je ne connais pas cette histoire, mais cela fait fortement penser à un article du numéro signé par Anouche Kunth, une chercheuse au CNRS qui avait fait sa thèse sur l’exil des Arméniens du Cacause consécutif au génocide de 1915. Elle a suivi de nombreuses destinées dans l’exil, puis les traces laissées par ce traumatisme collectif au sein familles dans l’après-coup. Ici, dans ce article, elle nous parle des “sommeils blancs”, un phénomène qu’on retrouve également chez certains rescapés de la Shoah. Ce qu’elle appelle ces sommeils blancs, ce sont des sommeils sans rêve, sans fond. Des individus qui ont fait face à des peurs tellement puissantes, à des terreurs tellement intenses qu’il pouvait leur arriver de s’endormir d’un sommeil qu’on pourrait dire sans fond, en tout cas sans rêves, comme s’ils voulaient/devaient échapper à la réalité, à une réalité trop effroyable pour être soutenue, regardée en face. Des sommeils si profonds que ces individus ont pu se réveiller parfois jusqu’à deux voire trois jours plus tard, sans avoir la moindre image, le moindre mot, la moindre explication à mettre sur ce qui s’est passé dans l’intervalle : il n’y a rien.

Ce qui suggère un mécanisme de défense. Quand la frayeur, quand l’effroi, quand des affects engagés par l’événement sont trop paroxystiques, l’individu coupe littéralement via ce sommeil tout rapport aux autres et au reste du monde… Comme si les affects pouvaient être pétrifiés par cette faculté, comme si elle pouvait protéger le psychisme d’un éclatement littéral… On est là vraiment aux abords de la folie, à la jointure du rêve et de la folie. Enfin, du non-rêve et de la folie, plutôt.

(...)


Ça ira mieux demain

P.M. Et aujourd’hui, qu’en est-il ? Vous vous dites, “Il faut qu’on les collecte, pour les historiens et sociologues du futur ?”

H.M. Bien sûr, si vous me demandez à moi, je vous dirais qu’on n’en fait pas assez ! Heureusement que la psychanalyse a encore un peu de poids, même si elle est en train de décliner du fait de l’émergence des neurosciences et de leur poids toujours croissant dans l’espace public. Car on voit encore des gens qui écrivent leurs rêves, dans les cafés, le matin, précisément parce qu’ils sont en analyse. Hélas, le développement d’autres formes de psychothérapie fait que cette pratique commence un peu à disparaître. Enfin, sans doute pas partout. Car je crois qu’aux États-Unis il existe des banques de rêves proprement gigantesques. Après, il y a collecte et collecte. Il faut être très précautionneux dans nos manières de collecter les rêves. Comme l’expliquent notamment le sociologue Laurent Jeanpierre et les psychanalystes Estaban Radiszcz et Pablo Reyes dans leur enquête sur les rêves des adolescents chiliens contemporains, il faut accumuler des informations précises sur les propriétés sociales des rêveurs, sur les contextes même du rêve, sur les associations faites par les rêveurs, etc. Dans l’absolu, il faudrait aussi savoir ce que le rêveur a vécu la veille voire l’avant-veille… Parce que sans les associations du rêveur, c’est souvent très compliqué de donner du sens au rêve.

 


 

Bernard Lahire, quant à lui, après le premier tome théorique de L’interprétation sociologique des rêves dont on a parlé plus haut, prépare un second volume à partir d’une matière empirique qu’il a lui-même suscitée, collectée minutieusement au cours de longs entretiens avec des rêveurs. Bref, il faut ici beaucoup de méthode et de patience. Surtout si on veut croiser les regards disciplinaires comme ici, à la croisée des approches sociologique et psychanalytique du rêve.

(...)

 

“La Société des Rêves” le numéro 4 de la revue Sensibilités, est paru aux éditions Anamosa.

 

Article complet ICI 

 


  
 
 
  Autre interview ICI