Mercredi 10 février 2021
Les individus confinés se souviennent bien de leurs rêves
Une première collecte d’informations concernant les songes des individus confinés a été lancée au Centre de recherche en neurosciences de Lyon : début avril, une enquête a été élaborée en seulement une semaine, révèle à l’AFP Perrine Ruby, neuroscientifique qui a pris part à ces recherches. "On sait qu'on rêve de ce qu'on vit, de notre quotidien, de ce qui nous préoccupe, et de nos souvenirs émotionnels. Donc il y avait toutes les raisons de penser que la pandémie allait s'incorporer dans les rêves", souligne-t-elle.
Et si cette investigation se poursuit, des résultats préliminaires montreraient déjà des perturbations du sommeil liées au confinement. En particulier, 2.700 participants auraient indiqué "dormir plus" mais avoir "plus de mal à s'endormir" et connaître "plus de réveils" au cours de la nuit. Cette augmentation de la fréquence des réveils, accompagnée de l’intensité émotionnelle importante générée par le contexte épidémique, aurait eu un premier effet sur les rêves des volontaires : au réveil, ces songes généreraient plus de souvenirs qu’auparavant. Beaucoup d’interrogés auraient en effet affirmé se rappeler davantage de leurs rêves.
Deux types de songes
D’après les premiers résultats de cette recherche, le confinement produirait par ailleurs deux grands types de songes : certains apparaîtraient centrés sur des thèmes tels que la maladie, la mort, l’étouffement, l’isolement, etc. alors que d’autres évoqueraient plutôt la fête, la coopération, les interactions avec autrui et révéleraient un "érotisme accentué", décrit Perrine Ruby.
"Il y a vraisemblablement un côté cathartique - les émotions très pénibles qu'on vit dans la journée s'expriment à travers le rêve - et il y a aussi le côté compensation : tout ce qu'on ne peut pas vivre la journée, on le vit dans les rêves", explique-t-elle.
La mort remplacée par des trains et des papiers
De leur côté, dans le cadre de leur « laboratoire de psychanalyse nomade », la psychanalyste Elizabeth Serin et l’historien Hervé Mazurel auraient recueilli par mail à l’adresse revesdeconfins@gmail.com des données (récits de songes, ébauches d’interprétation, informations sociologiques et ethnographiques) concernant plus de 300 rêves. "
Cet événement socio-historique majeur qu’est la pandémie ébranle manifestement notre vie psychique et, l’avenir le dira, peut-être le fera-t-elle durablement", souligne Hervé Mazurel.
Les résultats préliminaires de cette investigation qui se poursuit montreraient eux-aussi une évolution des rêves depuis la mi-mars. Au début du confinement, les songes se seraient fixés sur le thème de la mort ainsi que sur celui de l’adieu, confirme Elizabeth Serin.
Cependant, d’après la psychanalyste, la présence de trains, l’angoisse des "papiers" qu’il faut "montrer" puis la transformation des habitats auraient ensuite émergé.
L’acceptation de nouvelles normes ?
Le sociologue Bernard Lahire, dans la continuité du travail réalisé dans son livre L’interprétation sociologique des rêves, aurait recueilli 380 rêves d’individus confinés cependant encore peu représentatifs de la population française. "Je souhaite essayer de comprendre en quoi nos rêves sont poreux par rapport au monde social dans lequel nous vivons, et comment cela fonctionne", résume-t-il.
"[C'est que] les rêves ont incorporé les normes, le vécu du confinement et la peur de la maladie", explique à l’AFP Arianna Cecconi, anthropologue à l’Ecoles des hautes études en sciences sociales (EHESS) qui travaille en partenariat avec l'artiste Tuia Cherici. D’après cette chercheuse, qui a notamment travaillé sur les rêves des habitants des quartiers Nord de Marseille et qui s’intéresse à la façon dont l’expérience de la pandémie de Covid-19 pourrait habiter les individus non pas seulement à court terme mais pendant une longue durée, l’épidémie et le confinement pourraient avoir été intégrés comme de nouvelles normes, à tel point qu’ils pourraient influencer les songes de la population pendant longtemps.
"Combien de temps va-t-on continuer à rêver [de la pandémie] ?" s'interroge-t-elle.