mardi 22 octobre 2019

Le songe de Socrate



A peine les fables qu'on attribue à Ésope virent le jour, 
que Socrate trouva à propos de les habiller des livrées des Muses. 
Ce que Platon en rapporte est si agréable, 
que je ne puis m'empêcher d'en faire un des ornements de cette préface. 

Il dit que, Socrate étant condamné au dernier supplice, 
l'on remit l'exécution de l'arrêt à cause de certaines fêtes.
 Cébès l'alla voir le jour de sa mort.

 Socrate lui dit que les dieux l'avaient averti plusieurs fois,
 pendant son sommeil, qu'il devait s'appliquer à la musique 
avant qu'il mourût. 

Il n'avait pas entendu d'abord ce que ce songe signifiait ; 
car, comme la musique ne rend pas l'homme meilleur, 
à quoi bon s'y attacher ? 
Il fallait qu'il y eût du mystère là-dessous : 
d'autant plus que les dieux ne se lassaient point 
le lui envoyer la même inspiration.(*)

Elle lui était encore venue une de ces fêtes. 
Si bien qu'en songeant aux choses que le Ciel pouvait exiger de lui, 
il s'était avisé que la musique et la poésie ont tant de rapport, 
que possible était-ce de la dernière qu'il s'agissait. 

Il n'y a point de bonne poésie sans harmonie :
 mais il n'y en a point non plus sans fiction ; 
et Socrate ne savait que dire la vérité. 
Enfin il avait trouvé un tempérament : 
c'était de choisir des fables 
qui continssent quelque chose de véritable, 
telles que sont celles d'Ésope. 
Il employa donc à les mettre en vers 
les derniers moments de sa vie. 
.





(*) Maintes fois m’a visité le même songe au cours de ma vie;
ce n’était pas toujours par la même vision qu’il se manifestait,
mais ce qu’il disait était invariable :

«Socrate, prononçait-il, 
c’est à composer en musique 
que tu dois travailler!»
 .
Platon
"Phédon"
.

« À quoi te sert, Socrate, 
d’apprendre à jouer de la lyre
 puisque tu vas mourir ?
– À savoir jouer de la lyre
avant de mourir » 
.
.


Dis-lui la vérité, Cébès : que je les ai composées
non dans le but de faire de la concurrence à lui-même ou à ses poèmes
 – je savais que cela n’aurait pas été facile –,
mais pour vérifier le sens de certains rêves
et m’enlever tout scrupule, pour le cas où il se serait agi là de la musique
que ces rêves souvent me commandaient de composer.


Voilà ce qu’il en est : 
souvent dans ma vie j’ai été visité par le même rêve,
qui m’apparaissait sous une forme ou l’autre,
mais en disant toujours la même chose :
« Socrate, compose et fais de la musique. »
Je supposais autrefois que le rêve m’exhortait et poussait à faire justement
ce que j’étais en train de faire et que, tels ceux qui incitent les coureurs,
le rêve me poussait à faire ce que j’étais en train de faire,
 c’est-à-dire à composer de la musique : 
la philosophie est la musique suprême,
et j’étais moi-même occupé à la pratiquer.


Mais après le procès et après que la fête du dieu eut empêché que je meure aussitôt,
il m’est apparu, pour le cas où le rêve m’aurait recommandé souvent
de composer de la musique au sens ordinaire, que je ne devais pas lui désobéir,
 mais que je devais en composer, et qu’il était plus sûr de ne pas m’en aller
avant d’avoir apaisé mes scrupules en composant des poésies,
pour obéir au rêve.


J’ai ainsi composé d’abord une poésie pour le dieu dont c’était la fête ;
 ensuite, après le dieu, j’ai pensé que le poète, s’il veut être poète,
doit composer des récits et non pas des raisonnements ,
et que je n’étais pas moi-même expert en récits .
J’ai donc mis en vers les récits que j’avais sous la main,
en les connaissant par cœur,
 ceux d’Ésope, les premiers auxquels j’ai pensé...
.
Platon
"Phédon"
.



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