lundi 9 décembre 2019

Nous sommes d'un âge immense

 Lundi 9 décembre 2019


Le rêve de Jung, qui montre un Chevalier en armure 
au milieu de la foule des passants de Bâle, 
met en scène, d'une façon qui marque l'esprit, 
l'irruption du Moyen-Âge dans la période dite "moderne"...
Une irruption étonnante...
mais dont on retrouve néanmoins un écho 
au détour de certaines oeuvres de fiction...

Ainsi, dans le film-comédie "Les Visiteurs" (1993), 
Godefroy de Montmirail et son serviteur
débarquent avec fracas en plein vingtième siècle...
tandis que dans le film "Fisher King" de 1991
("Le Roi pêcheur", en français)
un chevalier "rouge" 
apparaît en plein New-York à Henry, 
le personnage joué par Robin Williams.




Je ne citerai  pas les innombrables histoires
 (bandes dessinées, livres, jeux ...etc) 
qui font intervenir de vaillants chevaliers,
 traversant moult épreuves au péril de leur vie...
cela prendrait trop de temps...




Mais, à voir leur succès, il semblerait bien 
que le thème de la chevalerie fasse encore "rêver",
"frissonner" ou..."sourire"...
et que nous soyons encore capables 
de nous identifier à eux et à leur "quête"...

Jung lui-même , de son propre aveu, 
s'est passionné pour ce genre d'histoires 
(surtout celles autour du Graal),
à l'adolescence.
 C'était aux alentours de ses quinze ans, 
à l'époque où ses camarades de collège,
un peu moqueurs, 
l'appelaient "le Patriarche" 
et où lui-même se sentait parfois 
"appartenir à un autre temps"...

Toute une série de rêves viendra ensuite
confirmer cette impression
de ne pas "appartenir totalement à son époque":
 Celui du "Chevalier dans la ville
qui s'inscrit dans le prolongement de celui des "Gisants"
 (dans lequel un gisant du 12ème siècle "revient à la vie"),
 qui lui-même est le prolongement de celui de la "Maison"
 (maison dont le sous-sol évoque plusieurs époques superposées)...
sans oublier celui, plus tardif, de "La quête du Graal".

Tous ces rêves impressionnants insistent sur le même point : 
les grandes questions qui se sont posées dans l'Histoire
ne se sont pas "évaporées" : 
bien que leurs protagonistes soient décédés depuis longtemps, 
ces questions cruciales, datant d'époques anciennes, 
s'agitent encore en nous, dans notre inconscient. 
Elles reviennent nous hanter, encore et encore, 
en attente d'une solution,
ou tout du moins, d'une compréhension. 
Elles s'emparent de quelques individus, 
plus réceptifs ou plus prédisposés
et sollicitent leur attention.

Ainsi, les questions de fond qui ont traversé les siècles précédents, 
du douzième siècle (temps des Croisades, romans du Graal) 
au dix-septième siècle (époque culminante de l'Alchimie) 
vont s'imposer à Jung et le "travailler" en profondeur 
pendant une bonne partie de sa vie.




Mais il les traitera sur un plan psychique, bien sûr,
et non plus sur un plan "concret".

Là où le Croisé maniait l'épée pour délivrer Jérusalem,
"Centre de la chrétienté", 
Jung maniera l'épée du discernement et de l'analyse 
pour "délivrer" le Centre spirituel  de l'Etre,
 qu'il appellera le Soi.

Là où l'alchimiste manipulait éprouvettes et creusets,
 penché sur son "feu secret",
 il observera la transformation à l'oeuvre 
dans l'intériorité de ses patients, 
dans l'intimité de son cabinet de psychanalyste.

Cependant, alors que Freud, spécialiste des névroses, 
se limite à explorer les problèmes personnels de ses patients, 
il se sent, lui, poussé à aller beaucoup plus loin.
Il veut "pénétrer les mystères de la personnalité et de l'âme" 
et dans ce but, il va être amené, au fil des années, 
à étudier de vastes pans de l'épopée de l'humanité : 
il va peu à peu acquérir une immense culture dans de nombreux domaines 
(archéologie, sciences naturelles, histoire des religions,
histoire de la philosophie, mythologie, alchimie...etc). 
Désireux de comprendre "les grands mouvements de l'âme humaine",
et aiguillonné par les grands rêves cités précédemment,
 il va  être conduit à explorer des problèmes d'une toute autre ampleur que Freud 
et va se pencher sur des problèmes qui embrassent 
toute une part de l'Histoire humaine.

Après avoir examiné des milliers de rêves dans lesquels il reconnaîtra  
une "Connaissance millénaire" qui ne peut pas, à l'évidence, 
être issue de la seule expérience personnelle du rêveur, 
il finira par avancer l'hypothèse d'un inconscient collectif..

 Nous aurions en effet "en nous"
la trace d'une ribambelle d'ancêtres, 
qui, du fond des âges, attendent que nous poursuivions, 
autant qu'il nous est possible, leur quête non aboutie.

Notre âme, à la naissance, n'est pas "vierge" : 
elle est déjà lourde de tout un passé qui, bien qu'inconscient,
tire les ficelles de notre vie et de notre destin.
Ce passé se révèle être à la fois un poids...et une chance. 
A nous de composer le mieux possible avec lui, 
pour en tirer "l'or" qu'il recèle potentiellement.

Si, comme le disait Teilhard de Chardin, 
nous sommes des "êtres spirituels"
 connaissant, pour un temps, l'incarnation, 
alors notre Âme et notre Esprit,
sont bien plus "vieux" que notre corps : 
ils sont comme le disait Jung, "d'un âge immense
et parfois de l'âge de l'Humanité.

Les questions de nos ancêtres
viennent régulièrement nous "revisiter",
 à la fois semblables et différentes. 
Dans la grande "spirale" de l'Evolution,
 elles ont accompli un ou plusieurs tours 
et demandent à être revues "un cran plus haut", 
sur un plan plus élevé,
 afin que nous affinions sans cesse
la conscience du monde et de nous-mêmes,
à l'infini...

Jung, fidèle à son nom et au blason originel de sa famille (un Phénix),
 ne sera pas celui qui "perpétue les limites du passé et les protège"...
il sera celui qui les laisse "monter en lui"
puis qui les dépasse en les renouvelant. 
Il sera à la fois "homme du Passé" ("Patriarche") 
et "homme de l'Avenir", pionnier vaillant et courageux, 
qui sèmera, dans le domaine de la Connaissance de l'Etre humain, 
les premiers jalons d'un "nouveau cycle",
et peut-être même d'une nouvelle "ère".

Le "gardien de l'ancienne Monarchie impériale et royale"
 ne le lui pardonnera pas...
mais, ça, c'est une autre histoire... ;-)

La Licorne
.



En complément, je vous offre  ci-dessous
quelques citations de Jung,
 extraites de ses Mémoires, 
qui viennent "éclairer" cet article :


"Nous ne sommes pas d'aujourd'hui ni d'hier ;  
nous sommes d'un âge immense."


"Notre âme, comme notre corps, est composée d'éléments 
qui tous ont déjà existé dans la lignée des ancêtres. 
Le "nouveau" dans l'âme individuelle est une recombinaison, 
variée à l'infini, de composantes extrêmement anciennes. 
Ainsi, corps et âme ont-il un caractère éminemment historique 
et ne trouvent-ils dans le "réellement -neuf-qui-vient-de sourdre" 
nulle place convenable, 
autrement dit les éléments ancestraux ne s'y trouvent 
que partiellement chez eux. 
Nous sommes loin d'avoir liquidé le Moyen-Âge, l'antiquité, la primitivité
 et d'avoir répondu à leurs propos aux exigences de notre psyché !" 
(p 273)

"J'ai toujours pensé que, moi aussi,
 j'avais à répondre à des questions que le destin 
avait déjà posées à mes ancêtres
mais auxquelles on n'avait encore trouvé aucune réponse... 
ou bien que je devais terminer ou simplement poursuivre des problèmes
 que les époques antérieures laissèrent en suspens. 
Il est d'ailleurs difficile de savoir si ces problèmes
 sont de nature personnelle ou plutôt de nature générale (collective).
 Il me semble que c'est plutôt le dernier point qui est le cas...."
 (p 271)





samedi 7 décembre 2019

Les autres symboles du rêve : noms de lieux


Ville de Bâle (Suisse)


Dans le  rêve du  "Chevalier en pleine ville"
Jung se trouve dans un endroit qu'il désigne 
comme étant  à la fois
 le quartier Kohlenberg de Bâle
et une ville d'Italie, Bergame.
Or, ces appellations contiennent toutes deux
la syllabe BERG,
qui, en allemand, désigne la "montagne".

"Kohlenberg" ,
c'est la "montagne de charbon"
et Bergame pourrait se décrypter,
comme le signalait judicieusement Amezeg,
dans les commentaires,
comme Berg-âme,  
la "montagne de l'âme".

Au tout début de ce blog, j'avais publié un article
et voilà, entre autres, ce qu'on pouvait y lire:


"L'ascension d'une montagne évoque 
un progrès dans la connaissance de soi-même.
Sans doute la montée est-elle avant tout une intériorisation.
Le sommet de la montagne symbolise
les qualités supérieures de l'âme.



Gravir sa propre montagne intérieure
c'est concilier les principes opposés en soi-même (sa terre et son ciel), 
c'est parvenir à ce que l'historien des religions Mircea Eliade appelait 
la coïncidence des opposés
à savoir faire des principes opposés de réels complémentaires, 
en vue de l'union ultime avec soi-même, 
avec les autres et avec l'univers.

.

Bergame (Italie) - rue en escalier

L'escalier de la rue où se trouve Jung rappelle
que pour parvenir à cela, il y a des "marches" à gravir,
des "paliers" et donc des étapes à traverser.
C'est une démarche longue et ardue, 
une élévation progressive,
le travail de toute une vie.

(Le symbole de l'escalier
a déjà été étudié sur ce blog)

Tout en bas de cette rue en escalier,
il y a la "Barfüsserplatz" de Bâle,
nom qui se traduit en français 
par "Place des "Va-nus-pieds" 
(ou des "pieds nus").
C'est une allusion aux moines franciscains 
qui, faisant voeu de pauvreté,
marchaient sans chaussures (et plus tard, en sandales).
En français, on a traduit cela par l'expression
 - moins péjorative sans doute - 
de "Place des Cordeliers"
(la corde étant aussi une partie importante 
de la tenue des franciscains) 


Jung connaissait bien ces lieux,
puisqu'il avait fait ses études à Bâle
et y avait passé une partie de sa jeunesse.

Or, la chevalerie templière et l'ordre franciscain
(dit aussi Ordre des Frères mineurs)
sont nés à la même époque environ:
à la fin du douzième siècle 
et au début du treizième siècle.

Il semblerait bien qu'aux alentours de l'an 1200,
se soit fait sentir, dans l'inconscient collectif,
un grand besoin de retourner
aux "sources du christianisme".
Les Croisés l'ont fait à leur façon,
de façon très concrète et "guerrière"
et Saint François, lui, l'a fait d'une façon plus "spirituelle"
en revenant à des valeurs de simplicité et d'authenticité.




Les deux mouvements ne sont d'ailleurs pas sans rapport
et finiront par se rencontrer ainsi qu'on peut le lire
dans cet article Wikipédia consacré à l'ordre franciscain :

En vertu de deux bulles du pape Clément VI en1342,
"Gratias agimus" et "Nuper carissimae", 
les franciscains de Terre sainte
revendiquent la « garde des Lieux saints ». 
Ce privilège s'explique par le rôle pacificateur 
joué par saint François d'Assise
lors de la cinquième croisade en 1219.

Ainsi, depuis le XIVème siècle, 
les franciscains sont les gardiens
 de nombreux sanctuaires en terre Sainte,
dont le Saint Sépulcre à Jérusalem.

 .

La Licorne





mercredi 4 décembre 2019

Entre douze et treize

Mercredi 4 décembre 2019
 


Le "rêve du chevalier" de Jung commence par une indication temporelle : il se passe entre douze et treize heures.
Ce détail, qui pourrait paraître anodin, ne l'est cependant pas, surtout si l'on se souvient que les Croisés et les Templiers ont connu leur heure de gloire entre le douzième...et le treizième siècle !

Le nombre Douze, étudié récemment, est un nombre qui est très lié aux cycles temporels (douze heures, douze mois, douze signes du zodiaque)
 
 
 

Le Treize, lui, est l'élément qui, en ajoutant une unité au douze, va venir briser la stabilité et entraîner vers autre chose. C'est l'élément de trop, celui qui fait passer d'un cycle à l'autre avec ce que ce changement implique d'anxiété par l'arrivée d'un nouveau cycle inexploré. Il est ce qui vient briser l'ordre antérieur, il est le pas en avant qui fait plonger dans l'inconnu, il est "signe de rupture".

Avec lui, il y a toujours destruction puis reconstruction, mort puis renouveau (dans le Tarot, la treizième lame est d'ailleurs celle de la "Mort", qui n'a rien d'une mort définitive, puisque 8 lames suivent la treizième).
C'est donc, en ce sens, un nombre "initiatique" : un nombre évoquant un passage difficile ou une épreuve débouchant potentiellement sur une "renaissance").


Voyons cela de plus près :



Entre douze et treize heures :  c'est l'heure de la pause méridienne. On cesse le travail pendant un moment (cassure du rythme journalier) avant de reprendre pour une deuxième "tranche".

Entre douze et treize mois :  En accédant à la marche, l'être humain quitte son statut de "bébé" et devient un "enfant".

Entre douze et treize ans : c'est l'âge moyen de l'apparition des règles chez les filles et, plus généralement, c'est l'âge du début de l'adolescence. L'enfant "meurt" et passe à une autre étape de vie, plus mature.

Entre le douzième et le treizième siècle : ce fut une époque de "très grands changements", l'Histoire du Moyen-Âge arrive à un tournant.
En 1205, Saint-François d'Assise a une vision dans laquelle le Christ lui demande d'aller "rebâtir son Eglise en ruines"...
C'est l'essor des Croisades, l'époque des chevaliers du Temple de Salomon, ou Templiers...
Et c'est l'époque aussi de la construction accélérée de la plupart des grandes cathédrales en Europe.

Beaucoup plus récemment, à la fin de 2012 (donc juste avant 2013), nous avons assisté à la mise en scène des frayeurs liées à l'anticipation d'une "fin du monde" (ou "fin d'un monde") qui nous amènerait, soit vers la destruction, soit vers du "tout nouveau", une sorte de "nouvelle ère".

Cette prévision se basait d'ailleurs sur le calendrier maya, qui, contrairement au nôtre, est fondé sur le nombre treize et comprend des cycles de 20 X 13 jours (20 semaines de 13 jours = 360 jours).

Le nombre 13 est donc, très concrètement, lié au "passage" d'un état vers un autre état, d'un cycle vers un autre cycle. Ce qui est certes dérangeant, mais pas forcément catastrophique...



 
La culture celtique se basait sur un rythme naturel de 13 "mois lunaires" (13 x 28 jours = 364 jours).

Le Zodiaque traditionnel compte 12 signes, mais on en comptait autrefois un treizième
le Serpentaire (ou Ophiuchus).

Chez les Mayas et les Aztèques, il était symbole de transformation, de renaissance à un niveau supérieur. 

Si on le considère sous la forme d'une roue à 12 rayons, c'est-à-dire comme 12 unités autour d'un centre, il est bénéfique.
C'est en tant que "nombre premier" qu'il peut parfois poser problème.


Sa mauvaise réputation actuelle lui vient, semble-t-il, de deux événements marquants :

- La dernière Cène, pendant laquelle Jésus et les douze apôtres sont réunis et qui sera immédiatement suivie par l'arrestation puis la mise à mort de Jésus. (Cela ancrera, entre autres, la superstition consistant à éviter d'avoir "treize convives à table")

- L'arrestation de tous les Templiers de France au matin du vendredi 13 octobre 1307.
Ordonnée par Philippe le Bel, qui les fera ensuite interroger, incarcérer et torturer, avant de les condamner au bûcher, cette arrestation  restera dans les mémoires comme un "jour funeste". On raconte que le jour de son exécution, le 18 mars 1314, le grand maître des Templiers, Jacques de Molay, aurait maudit ses tortionnaires pour leur "traîtrise" du vendredi 13.

Ce fut là le point de départ de la fameuse paraskevidékatriaphobie. ;-)


La Licorne


P-S : Faut-il rappeler aussi les déboires de la mission Apollo 13 ?
 
 
 

mardi 3 décembre 2019

Symboles : Le rouge et le blanc




Le blanc et le rouge, associés dans une même vision, figurent parmi les symboles les plus chargés de sens. Ils expriment une des plus fortes antinomies auxquelles l'homme ait à faire face, sans grand espoir de réaliser, par rapport à elles, une harmonie pérenne. Lorsque apparaissent le blanc et le rouge couplés, ce sont peut-être les opposés les plus fondamentaux de la vie qui sont en confrontation brutale dans la psyché.

L'imaginaire fait appel à des images extrêmement variées pour mettre en scène les deux couleurs. De l'aigle blanc aux yeux rouges à l'hirondelle rouge à calotte blanche, en passant par le tambour rouge et blanc, la petite fille en robe blanche et à chaussures rouges, le pigeon blanc qui sort du ventre ouvert, rouge de sang, la fusée à carreaux rouges et blancs, le pape vêtu de blanc, résidant l'assemblée des cardinaux rouges, des dizaines de visions, parfois très originales, n'ont d'autre but que d'exposer ensemble les deux symboles.



A l'instant où l'on entre dans l'interprétation de ces derniers, il est difficile de se défendre d'un certain vertige, doublé d'un sentiment d'impuissance. Cela parce que le blanc et le rouge entraînent des prolongements d'une telle ampleur qu'il semble impossible de les décrire en évitant que les mots exercent un rôle de banalisation.

Le blanc exprime l'absolu, une origine et un but qui se confondent dans l'unique, l'éternel, le temps indifférencié de l'innocence, de la non-manifestation. Le blanc imaginaire est, par nature, un blanc immaculé. Il est en dehors de l'acte. Il est pureté, innocence, sublimité. Mais ces valeurs s'opposent à la vie manifestée qui est dualité, engagement, risque, acceptation de la souffrance. Le blanc protège mais isole. Au plan de l'esprit, il est perfection, au plan terrestre, il est stérilité.

Le rouge, c'est l'implication, le sentiment, la passion, l'amour, la souffrance, l'incarnation, la violence, le rythme. C'est le temps terrestre, le temps séquentiel, mesuré, cadencé, le temps compté. C'est la matière animée, le sang qui bat dans les veines. Au plan de l'esprit, c'est la mort, au plan terrestre, c'est la vie. Le rouge, c'est l'univers de la compétition, de la puissance, de la possession.
Pour utiliser une formule simple, le blanc est pouvoir spirituel, le rouge pouvoir temporel.

Dans le rêve, comme dans la vie, cette dualité d'orientation de la volonté de puissance va imprégner des situations apparemment fort éloignées les unes des autres.
(...)

L'alchimie offre aussi l'image de l'oeuf d'où émerge un aigle à deux têtes, l'une portant la tiare pontificale de la puissance spirituelle, l'autre la couronne impériale, emblème du pouvoir temporel.



Les exemples où le blanc et le rouge associés affichent la double mission spirituelle et temporelle ne manquent pas.

Les Templiers, moines-soldats, arborent la croix de sang sur leur tunique immaculée.
Les croisés portent de semblables marques.



Le pharaon, unique délégué du dieu sur la terre, et souverain absolu dans l'ordre temporel, porte la double couronne rouge et blanche.



Les chouans, autres soldats du roi et de la religion avaient choisi pour insigne le Sacré Coeur rouge sur fond blanc.



Plus près de nous la croix rouge, le croissant rouge expriment aussi la volonté de porter l'effort humanitaire au coeur même de la tourmente guerrière.

La houppelande rouge et blanc du Père Noël, personnage qui fréquente volontiers le rêve, est le signe évident d'une fête où le sacré se mêle étroitement aux réjouissances les plus terre à terre.




Georges Romey
"Dictionnaire de la symbolique"
.


samedi 30 novembre 2019

Le symbole de la croix rouge

Samedi 30 novembre 2019




Dans le rêve précédent (rêve du chevalier),
on voit apparaître un symbole bien connu :
la croix rouge des Templiers...
Cette croix peut prendre diverses formes
(voir ci-dessous)
mais c'est le plus souvent
une croix à branches égales
(et donc inscriptible dans un cercle).

Le rêve fait également allusion,
au travers de la ville de Bâle, à la Suisse,
pays du rêveur, dont le drapeau
est en quelque sorte, l'inverse,
au niveau des couleurs,
de la croix des Templiers.

Voyons ce qu'en disait Jung, 
dans une interview de 1959.
La Licorne
.


.

"L'homme a besoin de la parole. 
Mais le nombre est une chose bien plus importante; 
le nombre est d'essence sacrée.
Il y aurait des quantités de choses importantes à dire;
la quaternité surtout est un archétype essentiel.
Le carré - la croix.




La quadrature du cercle pour les alchimistes.
ou le "Christ en gloire" pour les chrétiens.


Ce n'est pas moi qui ai inventé tout ça ;
ça existe, et c'est important."
(...)



Drapeau suisse  (adopté en 1848)
(l'un des rares à avoir une forme carrée...
mais son origine reste à ce jour incertaine)

 


Il y a des symboles très curieux dans le cas de la Suisse :
l'union du blanc et du rouge dans notre drapeau
est un "signe" de réconciliation
entre deux oppositions, par exemple.
(...)


Et puis, il y a la croix, signe de quaternité,
qui se trouve déjà au centre de la Suisse,
point de départ des fleuves,
en une sorte du jeu du tout, de la nature,
qui marque cette quaternité.

On pourrait penser davantage à cela chez nous,
si on en avait conscience;
on pourrait se laisser pénétrer
par ces grands symboles."
.
C.G. Jung
"C.G. Jung parle" (p 329)
Rencontres et interviews
.



Parmi les symboles très approchants,
on trouve, datant de 1130 environ, 
les armoiries de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem
 (aux couleurs inversées par rapport aux templiers)



Le drapeau savoyard
dérive, lui,
 officiellement de ces armoiries.






mercredi 13 novembre 2019

Rêve de Jung : Un chevalier en pleine ville

Mercredi 13 novembre 2019



Je me trouvais dans une ville d'Italie, à l'heure de midi,
 entre douze et treize heures. 
Un soleil brûlant inondait les ruelles. 
La ville était construite sur des collines et elle me rappelait
 un quartier bien déterminé de Bâle, le Kohlenberg. 
Les petites rues qui descendaient de là vers la vallée de la Birsig, 
qui s'étend à travers la ville, sont souvent des ruelles en escalier. 
L'une d'elles descendait jusqu'au Barfüsserplatz. 
C'était Bâle et pourtant c'était une ville italienne 
qui ressemblait à Bergame.

C'était l'été, le soleil rayonnait au zénith 
et tout baignait dans une vive lumière. 
Beaucoup de gens venaient vers moi, 
et je savais que les magasins maintenant se fermaient 
et que les gens rentraient chez eux pour déjeuner. 

Au milieu de ce flot humain, marchait un chevalier 
revêtu de toute son armure.
Il gravissait l'escalier, venait vers moi. 
Il portait une salade (casque) avec des oeillères 
et une cotte de mailles ; 
par-dessus, un vêtement blanc sur lequel une croix rouge 
était tissée sur la poitrine et sur le dos.

Vous pouvez vous imaginer l'impression que me fit un croisé 
venant vers moi, soudain, dans une ville moderne, 
à midi à l'heure de pointe de la circulation !

 Je remarquai surtout qu'aucune des nombreuses personnes qui étaient sur la route,
 ne semblait l'apercevoir. Personne ne se tournait ni ne regardait vers lui. 
J'eus l'impression qu'il était complètement invisible pour les autres. 

Je me demandais ce que pouvait signifier cette apparition et j'entendis, 
comme si quelqu'un me répondait -pourtant personne n'était là -: 
"Oui, c'est une apparition qui a lieu régulièrement; 
toujours entre douze et treize heures
le chevalier passe par ici 
et cela depuis très longtemps 
(j'eus l'impression que c'était depuis des siècles) 
et chacun le sait.

Le rêve me fit une impression profonde; 
mais, à cette époque, je ne le compris pas du tout. 
Accablé et bouleversé, je ne savais à quel saint me vouer.
(...)
Par la suite, je me suis fait bien des idées 
sur l'énigmatique personnage du chevalier 
sans pouvoir cependant en saisir complètement le sens. 

Ce n'est que beaucoup plus tard, lorsque j'eus longuement médité sur ce rêve, 
que je pus, à peu près, en saisir la signification. 
Déjà, tandis que je rêvais, je savais que le chevalier était du XIIème siècle,
 époque où l'alchimie débuta ainsi que la quête du Saint Graal.

Depuis ma jeunesse, 
les histoires du Graal jouèrent pour moi un grand rôle. 
A quinze ans, je lus pour la première fois ces histoires
 et ce fut un événement inoubliable, 
une impression qui ne disparut jamais plus !

Je soupçonnais qu'un mystère y était caché. 
Aussi me semblait-il tout naturel 
que le rêve évoquât à nouveau 
le monde des chevaliers du Graal et leur quête; 
car c'était là mon monde, au sens le plus intime, 
et il n'avait guère de rapports avec celui de Freud

Tout en moi cherchait cette part encore inconnue 
qui puisse donner sens à la banalité de la vie.
.
C.G. Jung
"Ma vie" (p 192)
.




Ajout :

Ce rêve est la deuxième partie d'un rêve plus long,
dont  la première partie se situe
dans une contrée montagneuse, 
au voisinage d’une frontière :
C’était vers le soir, je voyais un homme d’un certain âge revêtu de l’uniforme des douaniers de la monarchie impériale et royale. Un peu courbé, il passa près de moi sans m’accorder d’attention. Le visage avait une expression morose, un peu mélancolique et agacée. D’autres personnes étaient présentes et l’une d’elle me fit savoir que ce vieillard n’était pas du tout réel, c’était l’esprit d’un employé des douanes mort des années auparavant. “Il est de ces hommes qui ne pouvaient pas mourir”, disait-on”.
.
Quand je me mis à l'analyser, la "douane" me fit immédiatement penser à la "censure";
la "frontière"  me fit penser, d'une part, à celle entre conscient et inconscient
 et, d'autre part, à celle qui existe entre les vues de Freud et les miennes.
(...)



  L'épisode de l'employé des douanes ne mettait pas fin au rêve;
au contraire, après un hiatus, venait une deuxième partie remarquable.

"Je me trouvais dans une ville d'Italie, à l'heure de midi..."





mardi 12 novembre 2019

Symbole de l'émeraude


L'émeraude, cette pierre précieuse 
de couleur verte et translucide, 
est riche en symbole.




Tout d'abord, l'émeraude est un minéral 
composé de silicate d'aluminium et de béryllium, 
auquel s’ajoute du chrome, du vanadium et du fer. 
La formation des émeraudes nécessite 
des conditions géologiques exceptionnelles : 
le béryllium, composant principal du béryl, 
se trouve surtout dans le magma de la croûte terrestre et le chrome, 
le vanadium et le fer, qui transforment le béryl en émeraude, 
sont plutôt situés dans le manteau terrestre.




Le mot émeraude proviendrait du latin smaragdus
déformation du mot perse zamarat qui veut dire « cœur de pierre ». 
Comme pour d’autres métaux et pierres précieuses,
mythes et légendes se mêlent à la réalité historique 
 lorsqu’on parle d’émeraude.

Les alchimistes l'appellent émeraude des philosophes. 
(Cf pierre philosophale)

"Elle était la pierre d’Hermès
le messager des dieux et le Grand Psychopompe.
Ils appelaient aussi émeraude la rosée de Mai
mais cette rosée de Mai n’était elle-même 
que le symbole de la rosée mercurielle, 
du métal en fusion ou moment où, dans la cornue, 
il se transforme en vapeur. 

Ayant la propriété de percer les plus obscures ténèbres,
elle donna son nom à la fameuse table d’Emeraude 
attribuée à Apollonius de Tyane, 
et qui renfermait le Secret de la Création des Etres, 
et La Science des Causes de toutes choses.




La tradition hermétique voulait aussi 
qu’une émeraude fût tombée du front de Lucifer 
pendant sa chute.

Sous son aspect néfaste elle est associée, dans le lapidaire chrétien, 
aux plus dangereuses créatures de l’enfer.
Les traditions populaires du Moyen Age conservent, cependant, 
à l’émeraude,  tous ses pouvoirs bénéfiques 
auxquels se mêle nécessairement un peu de sorcellerie.

Pierre mystérieuse  - et donc dangereuse à celui qui ne la connaît pas - 
l’émeraude a été un peu partout sur terre considérée 
comme le plus puissant des talismans.

Issue des enfers, elle peut se retourner 
contre les créatures infernales, 
dont elle connaît les secrets. 
C’est pourquoi on dit en Inde 
que la seule vue d’une émeraude 
cause une telle terreur à la vipère ou au cobra 
que leurs yeux sautent hors de leur tête.

Dans la vision de Saint Jean, 
l'Eternel apparaît siégeant sur son trône 
comme une vision de jaspe vert ou de cornaline ; 
un arc-en-ciel autour du trône
est comme une vision d’émeraude 
(Apocalypse 4, 3).

Le Graal est un vase taillé dans une énorme émeraude.



Pierre de connaissance secrète,
l’émeraude revêt donc, 
comme tout support de symbole, 
un aspect faste et un aspect néfaste,
ce qui, dans les religions du bien et du mal, 
se traduit par un aspect béni et un aspect maudit, 
comme par exemple avec Lucifer.
  Le vert de l’émeraude symbolise la science maudite.

Pourtant, l’ambivalence symbolique de l’émeraude 
n’est pas exclue des traditions chrétiennes 
puisqu’elle est aussi la pierre du Pape.

Cratophanie élémentaire, l’émeraude est en somme 
une expression du renouveau périodique, 
et donc des forces positives de la terre ; 
elle est en ce sens un symbole de printemps, de la vie manifestée, 
de l'évolution et s'oppose aux forces hivernales, mortelles, involutives ; 
elle est considérée comme humide, aqueuse, lunaire 
et s’oppose à ce qui est sec, igné, solaire." 
(Source : Le dictionnaire des symboles, 
par Jean Chevalier et Alain Gheerbrant)

L'émeraude symbolise également la fécondité 
et  est considérée comme une pierre 
de régénération physique et spirituelle.


Notons également que le nom poétique de l'Irlande est 
l"île d'émeraude"  ou île verte 
à cause de sa végétation très abondante.

 .




Enfin, n'oublions pas la célèbre Esmeralda 
 l'un des principaux personnages du roman de Victor Hugo
"Notre-Dame de Paris" paru en 1831, 
dont le nom signifie, en espagnol,
"L'émeraude".

Et rappelons que, dans ce célèbre récit,
le prêtre Frollo, amoureux de la Belle,
est aussi...alchimiste.
.
.
 
 
 
 
Rêves d'émeraude sur ce blog :

La quête alchimique du Graal






La quête du Graal constitue la plus belle aventure spirituelle 
qu'il soit donné à l'homme de tenter sur la terre.

 A l'exemple d'inventer,
qui signifie découvrir et imaginer
quêter offre deux sens
 dont la confrontation libère la valeur 
du point de vue l'alchimie. 

En effet, si quêter (quester) 
veut dire rechercher avec attention et patience,
 il signifie également demander et mendier

"Et moi, je vous dis : Demandez, et l'on vous donnera; 
cherchez, et vous trouverez; frappez, et l'on vous ouvrira. 
"Car quiconque demande, reçoit; et qui cherche, trouve; 
et à celui qui frappe, on ouvrira." (Evangile de Saint Luc) 
(...)
.
Il n'est point téméraire d'envisager
que la Table Ronde soit, 
très positivement, la Table d'Hermès
à laquelle l'épithète de smaragdine
 confère la substance de l'émeraude.

De texture hyaline, cette gemme précieuse entre toutes, 
doit sa couleur verte au spiritus mundi, à l'esprit du monde 
qui s'y est introduit comme en un vase d'élection.

De même que dans les temps antiques, 
c'est maintenant aux chevaliers, aux cabaliers, 
de s'asseoir autour de cette table et de la déchiffrer. 
C'est à eux qu'échoit la mission altissime 
de la quête du Saint Graal 
unique et indivisible
comme l'Absolu et la Vérité. 

Il est vrai, sans mensonge, certain et très véritable. 
Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, 
et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas,
 pour accomplir les miracles d'une seule chose.
. (...)



.
La quête du Graal s'offre encore,
mais cette fois résumée à l'extrême,
dans l'exergue circonscrivant le paradigme,
gravé sur bois et bien connu, qui accompagne le plus souvent
l'un des meilleurs traités de Basile Valentin.
 
Nous reproduisons ici cette image circulaire (...)
sur laquelle on pourra remarquer, particulièrement,
le Graal recevant, ensemble,
le fluide du soleil et celui de la lune :




Visita Interiora Terram Rectificando Invenies Occultum Lapidem.
Visite l'intérieur de la terre; en rectifiant tu trouveras la pierre cachée .


Les initiales de la phrase latine, rassemblées dans l'ordre de leur succession,
reproduisent le terme VITRIOL désignant l'émeraude philosophique
dont nous avons parlé ci-dessus et qui est la substance même du Graal.
.

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Mariage alchimique du roi et de la reine, 
du soleil et de la lune,
avec la colombe au-dessus


lundi 11 novembre 2019

Trouver son propre mythe





Pour Jung, le mythe chrétien arrivant à son terme, 
chacun en Occident se trouve renvoyé à un vide 
et à la nécessité de trouver son propre mythe. 

Chacun est invité à réaliser son âme en profondeur
car en lui existe un dynamisme d’origine inconsciente,
une énergie psychique, qui le pousse à incarner la totalité 
(archétype du Soi, du centre de l’âme) 
en harmonisant les tendances contraires qui sont les siennes : 
par exemple, envie de régresser et envie de progresser, 
besoin d’autonomie et besoin d’attachement, 
pôle masculin et pôle féminin, 
besoin d’intimité et besoin de rencontres sociales, etc. 
A ce processus, Jung donna le nom d’ « individuation ».

Plus encore, l’humanité tout entière serait appelée 
à développer un nouveau mythe
 qui permette de prendre en compte à la fois 
l’inconscient et la nature (extérieure et intérieure), 
et à développer une cohésion affective plus grande entre les êtres. 
Mais cette évolution ne pourra se faire qu’à la condition 
d’un changement réel des personnes.
« L’individuation est synonyme d’un accomplissement meilleur et plus complet des tâches collectives d’un être, une prise en considération suffisante de ses particularités permettant d’attendre de lui qu’il soit dans l’édifice social une pierre mieux appropriée et mieux insérée que si ces mêmes particularités demeuraient négligées ou opprimées. »
Ainsi, la méthode jungienne consiste davantage 
en une initiation, en une école de sagesse.

Parmi les divergences qu’elle présente avec l’approche freudienne,
l’interprétation du symbole est centrale.
Celui-ci n’est plus seulement vu comme un moyen
de déguiser des tendances inavouables,
mais une puissance transformatrice agissante 
sur celui qui accepte de le rencontrer.
La dynamique invisible des images,
celle d’une « pensée sauvage » porteuse d’énergie et de sens,
passe à travers lui et touche son âme.
« Par symbole, je n’entends nullement une allégorie ou un simple signe ;  j’entends plutôt une image propre à désigner le mieux possible la nature obscurément soupçonnée de l’esprit. ».
Article ICI
.



vendredi 8 novembre 2019

La quête et l'aventure





Ce que l’on appelle exploration de l’inconscient 
dévoile en fait et en vérité
 l’antique et intemporelle voie initiatique.

La doctrine de Freud est une tentative d’ensevelissement
pour se protéger des dangers de la « longue route »,
seul un chevalier risquera la « queste et l’aventure ».
.
C-G Jung
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jeudi 7 novembre 2019

Rêve de Jung : Les gisants

Jeudi 7 novembre 2019



Les gisants
 
À cette époque, l’une de ces imaginations, effrayante,
me revint à plusieurs reprises :
il y avait quelque chose de mort qui vivait encore.

Par exemple, on plaçait des cadavres dans des fours crématoires,
 et l’on découvrait alors qu’ils montraient encore des signes de vie.
Ces imaginations atteignirent à la fois leur point culminant
et leur aboutissement dans un rêve.

J’étais dans une région qui me rappelait les Alyscamps près d’Arles. 
Il y a là une allée de sarcophages qui remonte à l’époque des Mérovingiens. 
Dans le rêve, je venais de la direction de la ville et voyais devant moi 
une allée semblable à celle des Alyscamps
 bordée de toute une rangée de tombes. 
C’étaient des socles surmontés de dalles de pierre 
sur lesquelles reposaient les morts. 




Ils gisaient là, revêtus de leurs costumes anciens, 
les mains jointes sur la poitrine,
 tels les chevaliers des vieilles chapelles mortuaires 
dans leurs armures, 
à la seule différence que dans mon rêve 
les morts n’étaient pas de pierre taillée, 
mais momifiés de singulière façon.

Je m’arrêtai devant la première tombe et considérai le mort. 
C’était un personnage des années 1830. 
Intéressé, je regardai ses vêtements. 
Soudain, il se mit à bouger et revint à la vie. 
Ses mains se séparèrent, et je savais que cela n’avait lieu 
que parce que je le regardais. 

Avec un sentiment de malaise 
je continuai mon chemin et parvins
 à un autre mort qui appartenait au XVIIIe siècle. 
Là, il se produisit la même chose; alors que je le regardais, 
il redevint vivant et remua les mains.


 Je parcourus comme cela toute la file,
 jusqu’à ce que j’eusse atteint pour ainsi dire le XIIe siècle; 
le mort dont il s’agissait était un croisé 
qui reposait dans une cotte de mailles, 
et qui avait également les mains jointes. 
Son corps semblait sculpté dans du bois. 

Je le contemplai longuement, convaincu qu’il était réellement mort. 
Mais soudain, je vis que l’un des doigts de sa main gauche 
commençait doucement à s’animer.
.
Carl Gustav Jung
"Ma vie"
.


Contexte :
 
Troublé par le rêve précédent, 
Jung se concentre davantage sur ses processus imaginaires. 
C’est alors que survient ce rêve des gisants qui bougent encore. 
Cela l’occupera longtemps et marquera un point tournant.


 
Il écrit ainsi : 

« des rêves comme celui-là 
et l’expérience vivante, réelle de l’inconscient 
m’amenèrent à la conception que ces vestiges 
ne sont pas seulement des contenus morts, 
ni des formes usées de la vie (*)
mais qu’ils font partie intégrante de la psyché vivante


 
Mes recherches ultérieures confirmèrent cette hypothèse 
à partir de laquelle, au fil des années, 
se développa ma théorie des archétypes.» 

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(*) Jung avait déjà fait le rapprochement
entre ces "contenus morts", ces "formes usées de la vie"
et les "douze morts" du rêve de la colombe
(rêve précédent)