lundi 31 décembre 2018

Les fêtes de l'hiver

Lundi 31 décembre 2018

Nous avons dit précédemment que le paradoxe des fêtes de l'hiver, 
c'est qu'au coeur de l'obscurité, 
elles soient centrées sur le mystère de la lumière. 

Pour nous, les fêtes de l'hiver sont centrées autour de Noël
Noël, l'épiphanie, le Nouvel An, les fêtes de la chandeleur, 
gravitent autour de l'événement chrétien : 
la naissance du sauveur. 



Bien que la signification de la fête de Noël soit connue, 
nous pouvons, dans le cadre de ce sujet, 
insister sur l'importance des symboles lumineux de cette fête.

Placée au moment le plus fort de la nuit cosmique, le 25 décembre -
 ce qui ne correspond à aucune réalité historique - proche du solstice, 
cette fête coïncide avec les antiques fêtes du solstice 
qui sont toutes des célébrations cosmiques

Au moment le plus bas de la course du soleil, est célébrée 
la naissance encore mystérieuse d'un germe inconnu. 
Dans l'imagerie chrétienne, le germe nouveau naît de façon secrète
 parce qu'il est en butte aux poursuites du roi Hérode. 

Cette symbolique de naissance dans la pauvreté allie les contraires : 
le roi attendu par le peuple juif ne va pas naître dans une famille en vue 
mais d'une façon secrète, d'un simple charpentier 
-quelqu'un qui travaille la matière- et d'une vierge.

On retrouve ici le thème de nombreuses naissances de héros divins, 
conçus par une vierge, c'est-à-dire nés d'un élément féminin 
considéré comme intact, totalement pur; 

L'imagerie de Noël - la grotte, l'étable, les animaux; boeuf et âne 
-exprime la naissance de l'indicible dans la matière. 
Ce qui va sauver l'humanité nait dans le secret le plus complet.
 Mystère difficilement exprimable que celui du germe invisible !

Ainsi, le renouveau, lorsqu'il se prépare est encore inconnu; 
seule une sorte d'intuition, de pénétration inconsciente, 
permet de savoir que si, extérieurement, rien n'a changé,
quelque chose à l'intérieur est pourtant différent 
et se dirige progressivement vers un nouveau développement. 

La fête de Noël célèbre à la fois la notion de germe secret 
et celle de retour à la lumière.

L'arbre de Noël en est un exemple : 
le sapin, arbre toujours vert, 
témoin d'une végétation qui jamais ne disparaît, 
est un symbole d'immortalité; 
on y accroche guirlandes et boules lumineuses  
figurant les planètes et la danse des astres...
(...)




L'Epiphanie, avec la venue des mages,
a elle aussi une signification cosmique. 
Les mages sont ceux, qui, connaissant le cours des astres, 
connaissent ainsi l'avenir.
Ils représentent au fond l'intuition 
qui pénètre le sens d'un événement.

Seuls les mages et les hommes simples
que sont les bergers, proches des animaux, 
 ont perçu que quelque chose a changé.
Ainsi, lorsque psychologiquement, quelque chose change
seues en nous l'intuition et une nature simple peuvent le percevoir,
alors qu'une autre partie de nous-même peut très bien ne pas le voir
et ne ressentir que la stagnation.
L'intuition, elle, peut percevoir la possibilité de changement et y croire.
C'est cette partie de nous-mêmes, plus instinctive,
 plus proche de notre animalité,  
qui peut nourrir le nouveau dynamisme.

Le gâteau de la fête des Rois
figure une couronne ou une galette solaire.
Dans ce gâteau est traditionnellement dissimulée la fève, germe caché, 
 qui fera de celui qui le trouve le roi de la fête.




Un germe, une substance précieuse cachée au coeur de la matière, 
attend d'être découvert pour conférer à celui qui le trouve 
la "royauté", la maîtrise.



Un rêve fait par un auditeur
 résume cette idée de façon humoristique ; 
il y est question de l'auteur et de la conférence sur l'hiver :

Elle est un peu en colère parce que des gens lui ont fait changer 
le titre de la prochaine conférence. 
Elle dit alors :
 "J'ai été amenée à parler d'autre chose 
mais finalement j'ai réussi à dire ce que je voulais dire 
et le nouveau titre sera : 
"L'EMERAUDE 
DANS LA POMME DE TERRE"




On pourrait dire : du germe, de la pierre,
du secret caché dans quelque chose de simple.
Il est important de comprendre que c'est
dans quelque chose de simple, dans le quotidien,
qu'on peut trouver le germe, la Pierre,
qui va peu à peu se dégager.
.

Marie-Claire Dolghin
"Les saisons de l'âme"
.




Hiver de l'âme et mort symbolique

Lundi 31 décembre 2018



A chaque saison appartient un type de symboles, d'histoires mythiques, 
de contes ou de traditions populaires qui peuvent être mis en rapport 
avec des états psychologiques particuliers.

Avec l'automne, évoquant une sorte de mort généralisée, 
de destruction nécessaire préludant à un nouveau cycle, 
nous avons vu que le travail le plus caractéristique de la saison
- le labour 
pouvait être considéré psychologiquement 
comme une image de certaines souffrances affectives.

L'être humain, au cours de sa vie, se trouve régulièrement
 confronté à la souffrance et à la mort, à la remise en cause de ses valeurs, 
à la nécessité aussi de remanier des attitudes vieillies ou inadaptées 
et d'entrer ainsi dans une période de déstructuration et d'inadaptation douloureuse, 
images de déséquilibre, de régression, d'échec. 

Cette phase peut, avec l'optimisme fondamental qui caractérise la vie,
 être aussi perçue comme un processus évolutif. 
La souffrance et le déséquilibre peuvent devenir productifs 
s'ils sont effectivement compris comme un labour en vue de semailles. 
La déstructuration n'est pas alors destruction 
mais remaniement pour l'éclosion d'une nouvelle attitude vitale. 

Après le premier choc de la rencontre avec sa problématique, 
le sujet traverse souvent une période de stagnation 
qui se présente comme une apparente régression.
Non seulement les anciens modes d'adaptation à la vie 
sont détruits mais de nouvelles formes de compréhension 
ou de nouvelles manières de vivre et d'aimer n'apparaissent que lentement.

 Ce premier choc  a provoqué la pénétration 
dans un monde intérieur de décomposition qui semble interminable. 
C'est la descente dans la profondeur, profondeur du passé, des souvenirs,
 des traumatismes, obscurcissement de la lumière, 
sensation de patauger indéfiniment dans les mêmes problèmes.

Cette phase qu'on pourrait appeler phase d'immobilisation et de stagnation, 
obscurcissement de la lumière, s'apparente à la saison hivernale.
(...)



Nous avions vu psychologiquement l'analogie
entre les labours de l'automne 
et les phases traumatiques de la vie affective; 
pour l'hiver, l'analogie à évoquer serait 
celle de la régression et de la pétrification.

Une analyse, par exemple, a commencé par l'investigation d'un psychisme
 à travers les situations traumatiques de l'enfance et les difficultés humaines actuelles ; 
après ce premier examen, la situation extérieure ne s'améliore pas toujours, 
"cela ne va pas mieux" pour autant. 

Il est bien difficile alors de percevoir que,
derrière cette stagnation apparente, 
de profondes racines travaillent. 
Si le conscient ne le perçoit pas, l'inconscient, lui,
perçoit ce mouvement invisible 
et fournit, au cours de ces périodes, des rêves 
qui illustrent le travail dans la profondeur,
 le travail des racines

Mais cette phase de stagnation peut aussi se présenter
sous un jour moins joyeux; 
ce sont alors des images de décomposition qui apparaissent, 
état extrême de l'émiettement déstructurant inauguré par le labour
 qui, dans la nature, débouche sur la formation de l'humus ou du fumier 
qui viendra plus tard enrichir la terre.


Les alchimistes l'ont bien dit :
on trouve la pierre dans le fumier ; 
mais qui va donc se réjouir de se sentir lui-même 
transformé en matière en voie de décomposition ? 
Il est en définitive impossible que la vie renaisse 
sans que ne meure ce qui était là précédemment.
.

Marie-Claire Dolghin
"Les saisons de l'âme"
.



Le dynamisme de transformation selon Jung

Lundi 31 décembre 2018



La découverte la plus originale de l'oeuvre de Jung 
est sans doute l'existence dans l'inconscient humain 
d'un dynamisme de transformation.

Cette découverte, Jung en a d'abord fait l'expérience pour lui-même.
Suite à la rupture de son amitié avec Freud, il se retrouva très isolé,
 et confronté à une grande solitude intérieure. 
Il traversa une crise importante, en proie à un grand flot d'images intérieures. 
Il vécut là une véritable confrontation avec l'inconscient, 
se retrouvant parfois aux limites de la santé mentale. 

Il fit ainsi le constat que la souffrance (une dépression par exemple) 
ne revêt pas seulement des aspects négatifs, mais constitue souvent,
 à y regarder de plus près, une invitation au changement,
 à l'élargissement de nos horizons, une sorte de passage obligé 
à une métamorphose de la personnalité 
(un peu comme la chenille passe par la chrysalide
avant de devenir papillon). 
L'inconscient se fait le maître d'oeuvre
d'un processus de transformation 
capable de briser le cercle infernal de la répétition.

Il existe donc au sein de l'inconscient humain
 des forces d'auto-guérison et de transformation. 
Jung a nommé ces forces "organisateurs inconscients" ou "archétypes". 
Pour bien marquer que ces structures sont une caractéristique de l'humain, 
il parle d'"inconscient collectif".

A titre d'exemple, l'archétype pourrait se comparer
à la structure de base d'un cristal, 
qui est la même pour tout cristal (système axial particulier), 
alors que chaque cristal est différent,
tant par sa couleur que par sa forme.
 Tous les cristaux de neige sont différents, 
alors qu'ils présentent tous la même structure.

Les archétypes ou dynamismes inconscients
peuvent constituer un recours, 
quand les structures personnelles font défaut 
(quand il y a eu très tôt dans la vie
des carences importantes sur le plan affectif). 
Ils sont alors capables de réparer et de relancer. 
D'où leur intérêt clinique, auquel Jung s'intéressa beaucoup, 
ayant été amené, au cours de sa carrière de psychiatre, 
 à soigner de nombreux cas difficiles.

Jung découvre donc qu'en se confrontant avec l'inconscient, 
le Moi se transforme. 
Il se produit une modification de la personnalité
 que Jung nomme "fonction transcendante", 
en prenant ainsi l'image d'une fonction mathématique. 
Cette fonction transcendante, nous la retrouvons à l'oeuvre 
en particulier dans les rêves, 
qui très souvent nous invitent au changement.

A la même époque, Jung se plonge 
dans d'anciens manuscrits alchimiques. 
Il est très vite frappé par l'analogie 
entre leur quête de transformation de la matière
 et cette notion de transformation
qu'il constate à l'oeuvre dans l'inconscient.

"Cette curieuse faculté de métamorphose dont fait preuve l'âme humaine, 
et qui s'exprime précisément dans la fonction transcendante, 
est l'objet essentiel de la philosophie alchimique 
de la fin du Moyen-Age", écrit-il.

"Elle exprime son thème principal de la métamorphose 
 grâce à la symbolique alchimique.
 Il nous apparaît aujourd'hui avec évidence 
que ce serait une impardonnable erreur de ne voir 
dans le courant de pensée alchimique 
que des opérations de cornues et de fourneaux.
 Certes, l'alchimie a aussi ce côté,
et c'est dans cet aspect qu'elle constitua 
les débuts tâtonnants de la chimie exacte.

Mais l'alchimie a aussi un côté vie de l'esprit 
qu'il faut se garder de sous-estimer, 
un côté psychologique 
dont on est loin d'avoir tiré tout ce que l'on peut tirer : 
il existait une "philosophie alchimique", 
précurseur titubant de la psychologie la plus moderne. 

Le secret de cette philosophie alchimique,
et sa clé ignorée pendant des siècles, 
c'est précisément le fait, l'existence de la fonction transcendante, 
de la métamorphose de la personnalité, 
grâce au mélange et à la synthèse 
de ses facteurs nobles et de ses constituants grossiers, 
de l'alliage des fonctions différenciées et de celles qui ne le sont pas, 
en bref, des épousailles, dans l'être, 
de son conscient et de son inconscient."

(...)

Le résultat de cette confrontation est un nouvel être, 
que les alchimistes appelaient hermaphrodite
L'aigle qui réunit les deux composants (conscient et inconscient)
 pourrait constituer une bonne image
de ce que Jung appelle la fonction transcendante. 
Elle aboutit à la création d'un nouveau centre de la personnalité, 
que Jung nomme le Soi

Mais ce nouvel être est le résultat
de toute une quête,  de tout un processus, 
dont les phases sont décrites en détail par les alchimistes, 
et qui correspondent assez bien, sur le plan psychologique, 
au processus d'intégration de l'inconscient 
 et d'élargissement de la personnalité,
 que Jung a appelé "processus d'individuation", 
pour souligner qu'il mène à devenir pleinement
l'individu que nous sommes.

Ce processus, les alchimistes le projetaient dans la matière extérieure,
 en termes de transmutation de métaux et de cornues. 
Mais il s'agit en fait d'un Grand Oeuvre intérieur
d'une dialectique (ou confrontation) entre le Moi et l'Inconscient.
Cette oeuvre est la tâche de tout homme moderne 
qui se confronte à la découverte de lui-même 
et aux forces de l'inconscient.

Il s'agit de retrouver le contact 
avec ce qui est capable de nous animer de l'intérieur.
Les alchimistes parlaient, de façon imagée,
de la pierre philosophale, de la fontaine de vie 
et les orientaux de la Fleur d'Or. 
C'est en fait de notre coeur vivant qu'il s'agit... 
(...)
Cette quête intérieure revêt donc un aspect religieux, 
au sens étymologique du terme : 
re-ligere, être relié à nous-même.

Elle aboutit à une sorte de nouvelle naissance psychologique, 
mais il faut passer par des caps difficiles,
 que les alchimistes appelaient mort et putréfaction, 
ou encore nigredo, "noir plus noir que le noir", 
pour indiquer que notre ancien moi doit "mourir", 
que les anciennes structures doivent disparaître 
pour faire place à un nouvel être en nous.

Il importe que le moi conscient  ne se laisse pas emporter 
par les contenus de l'inconscient (danger de l'inflation) 
mais reste un partenaire de ce dialogue avec l'inconscient, 
capable de tenir bon.

Tel est l'enjeu d'une psychanalyse jungienne.

Pour terminer ce bref aperçu, 
je citerai ce passage de Jung, extrait de "Ma Vie" : 

"Quand on dit de moi que je suis sage, 
que j'ai accès au "Savoir", 
je ne puis l'accepter. 
Un jour, un homme a empli son chapeau 
d'eau puisée dans un fleuve. 

Qu'est-ce que cela signifie ?
 Je ne suis pas ce fleuve. 
Je suis sur la rive, mais je ne fais rien. 
Les autres hommes sont au bord du même fleuve, 
 mais la plupart du temps ils imaginent
 qu'ils devraient faire les choses par eux-même. 
Je ne fais rien. Je me tiens là, debout, 
admirant ce dont la nature est capable.

Il est une belle légende d'un rabbin 
à qui un élève rend visite et demande: 
"Rabbi, dans le temps, il existait des hommes 
qui avaient vu Dieu face à face ;
 pourquoi n'y en a-t-il plus aujourd'hui?" 
Le rabbin répondit: "Parce que personne, aujourd'hui, 
ne peut plus s'incliner assez profondément." 
Il faut en effet se courber assez bas 
pour puiser dans le fleuve."
.

Article complet sur Skynet



dimanche 30 décembre 2018

La barque du passeur

Dimanche 30 décembre 2018



Le passage entre les deux mondes, monde de l'au-delà, 
du non manifesté où tout est potentialité et ce monde d'ici-bas, lieu de la création, 
est représenté de différentes façons.

L'un des symboles les plus fréquents est celui du fleuve qui sépare les deux mondes 
et de la barque qui guide les âmes. 
Pour montrer qu'il ne s'agit pas seulement ici de rapporter des récits mythologiques, 
élaborés autrefois et qui pourraient n'avoir plus de réalité actuellement,
 mais d'idées encore bien présentes dans l'esprit contemporain, 
je vous raconterai l'anecdote suivante, concernant un enfant de cinq ans; 
l'histoire m'a été racontée par sa mère :

L'enfant était à l'école maternelle quand un de ses camarades est mort. 
Tous les enfants sont allés à l'enterrement. 
Il a vu le cercueil qu'on mettait en terre 
et n'a rien dit pendant la cérémonie. 
De retour chez lui, il a dit à sa mère : 
"Oui, c'est vrai, il est dans le cercueil, il est sous la terre, 
mais sous la terre, il y a une rivière et il est parti dessus."

Cet enfant qui n'avait certainement pas lu le mythe d'Osiris, 
ni entendu parler de la barque des âmes, 
recréait spontanément l'image du voyage vers l'au-delà. 
Cette intelligence créatrice dort au fond de nous
comme elle le faisait il y a des millénaires
 et propose, comme autrefois, des images pour traduire ce qui est indicible, 
parler d'une réalité autre pour laquelle il n'existe pas de langage. 
Pour décrire cette réalité, il faut utiliser des symboles ou des paraboles. 

Ce qui veut être décrit par ce langage ne pourra jamais être totalement défini.
 Chaque description n'est jamais qu'un des rayons de la sphère, un regard, 
et il y en a des infinités. L'enfant a ainsi décrit 
que "quelque chose" de l'ami mort était passé ailleurs.

Ce "quelque chose" qui peut être appelé l'âme 
ne se décrit pas par un concept intellectuel, 
mais par l'image d'un germe vivant qui peut traverser la mort
 et reparaître dans un nouveau processus d'organisation.

 Voilà esquissé le mythe du passeur des âmes sur la barque...
(...)

Marie-Claire Dolghin
"Les saisons de l'âme"
L'analyse jungienne des contes de fées
.

vendredi 28 décembre 2018

Les rêves et la mort

Vendredi 28 décembre 2018
 
  

 

Se familiariser avec la possibilité de mourir


"Jung a donc eu raison d'insister sur le fait que, pour une personne qui vieillit, il est très important « de se familiariser précisément avec la possibilité de mourir. Une inéluctable interrogation se pose à lui et il lui faudrait y répondre. A cette fin, il devrait pouvoir disposer d'un mythe de la mort, car la raison ne lui offre rien que la fosse obscure dans laquelle il est sur le point d'entrer.


Le mythe — poursuit Jung — pourrait mettre sous ses yeux d'autres images, des images secourables et enrichissantes de la vie au pays des morts. Qu'il y croie ou qu'il leur accorde seulement quelque crédit, il a en cela autant raison ou tort que celui qui n'y croit pas. Mais tandis que celui qui nie s'avance vers le néant, celui qui obéit à l'archétype suit les traces de la vie jusqu'à la mort.
Certes l'un et l'autre sont dans l'incertitude, mais l'un va à l'encontre de son instinct tandis que l'autre marche avec lui, ce qui constitue une différence et un avantage d'importance en faveur du second » (C.G. Jung, Ma Vie page 348)


La mort n'a qu'une importance relative pour le psychisme inconscient

 

"L'analyse d'hommes et de femmes d'un certain âge fait apparaître dans leurs rêves une grande richesse de symboles, car ces personnes se préparent intérieurement à la mort qui approche. De fait, et C.G. Jung a insisté sur ce point, il est incontestable que la mort, en tant que fin abrupte du corps, n'a qu'une importance relative pour le psychisme inconscient.

Tout se passe comme si la vie de l'âme, ou le processus d'individuation de chacun, se poursuivait normalement. Mais on trouvera aussi dans ce livre de nombreux rêves qui annoncent symboliquement la fin corporelle et qui insistent, très explicitement, sur la poursuite de la vie post mortem."

Le processus d'individuation est une préparation à la mort


"Le processus d'individuation est, littéralement, une préparation à la mort. En fait, rêves de mort et rêves d'individuation ne se distinguent en rien les uns des autres dans leur symbolisme archétypique". L'auteur ajoute "plus un homme aura accepté de prendre conscience de ce combat des contraires en lui avant même l'approche de la mort, plus grande sera sans doute son espérance de connaître une fin apaisée".

Elle poursuit : "En fait, notre expérience des rêves offre rarement une image lumineuse de l'au-delà, et les scènes que nous voyons en rêve sont souvent angoissantes. Ce qui me semble décisif, c'est donc le degré de maturité d'un être humain avant sa mort: en d'autres termes, le fait que cet être, homme ou femme, ait trouvé ou non une relation avec son Soi".

La mort : transformation et continuation du processus vital


Marie Louise von Franz conclut : "Les rêves de personnes confrontées à la mort montrent tous que l'inconscient, c'est à dire notre monde instinctif, ne prépare pas la conscience à une fin totale, mais bien plutôt à une transformation et donc à un mode de continuation du processus vital que notre conscience ordinaire ne nous permet pas de saisir".





samedi 20 octobre 2018

Derniers rêves de Jung

Samedi 20 octobre 2018





Jung, à l'aube de sa mort, fait un rêve particulièrement marquant :

Il voit "l'autre Bollingen" baignant dans un rougeoiement de lumière 
et il entend une voix désincarnée qui lui dit 
que cet autre Bollingen est achevé et prêt à être habité. 
Il voit, tout en bas, une mère "glouton" qui apprend à son petit
 à plonger et à nager dans une étendue d'eau.

 C'est Barbara Hannah qui relate ce rêve dans son ouvrage. 
Il a 85 ans, était très fatigué et très malade, 
il raconta le même rêve à B. Hannah et à M-L Von Franz qui relate :
 " Nous eûmes toutes les deux l'impression qu'il pensait 
qu'il allait probablement mourir
et qu'il voulait que le rêve soit consigné.

Pour elles deux, c'était manifestement un rêve de mort,
 car il avait souvent rêvé auparavant de cet "autre Bollingen" 
à divers niveaux de construction 
et il en avait toujours parlé 
comme d'un lieu appartenant à l'inconscient,
 à l'au-delà.

La fin du rêve a le même sens : le rêveur va bientôt passer dans un autre élément
 (l'autre monde, comme on l'appelle d'ordinaire) et apprendre à s'adapter, 
tout comme le jeune glouton, qui se sentait chez lui en terrain sec,
 a dû apprendre à s'adapter à l'eau.
Barbara Hannah explique que le récit du rêve de Jung la rendit très triste,
 montrant clairement que Jung allait "bientôt nous quitter
 et passer dans "l'autre Bollingen".



Pourtant, il se remit de sa maladie et réussit à passer l'hiver, 
mais il ne se rendit plus à Bollingen, restant dans sa maison de Küsnacht.
Trois semaines avant sa mort, il eut une légère attaque et dut garder le lit.
 Son dernier rêve, il l'eut, quelques jours avant de mourir, 
c'est Ruth Bailey qui rapporta ce songe ultime à Barbara Hannah.

R. Bailey écrit à Miguel Serrano, dix jours avant la mort de Jung :
"Deux jours avant sa mort, il avait atteint une contrée lointaine 
où il voyait des choses merveilleuses et empreintes de grande beauté,
j'en suis convaincue. Il souriait et en était heureux;


Image empruntée à Ariaga


1) Il voyait un énorme bloc de pierre, rond, 
placé sur un socle élevé et au pied de la pierre 
étaient gravés ces quelques mots : 
"Et ceci sera pour toi un signe de totalité et d'unité."

2) Beaucoup de récipients, de vases en terre cuite, 
sur le côté droit d'une place carrée

3) Un carré d'arbres, des racines toutes fibreuses 
sortant de la terre et l'entourant. 
Il y avait des fils d'or scintillant parmi les racines.

(...)

Pour Barbara Hannah, ce rêve démontrait avec la plus grande clarté 
que Jung "mourait à l'heure juste"...
sa personnalité numéro 1 mourait mais son numéro 2 demeurait inchangé.

Il décéda dans l'après-midi du 6 juin, à quatre heures moins le quart, 
dans la maison de Küsnacht et les synchronicités se manifestèrent :  
la voiture de Barbara Hannah tomba en panne de batterie (...)
...

Au moment où Jung mourut, aucun orage ne grondait, 
mais l'orage vint deux heures plus tard 
et la foudre s'abattit sur un grand peuplier du jardin 
situé au bord du lac.

Et, comme le poursuit Barbara Hannah : 
" Le temps passait et Jung continuait d'apparaître dans les rêves 
et l'imagination active, tout comme il l'avait fait de son vivant.
En vérité, la mort est un paradoxe...
(...)

Elle achèvera par ces mots :
"Jung s'éteignit exactement à l'heure juste 
et sa mort fut un événement naturel. 
Il nous fut donné de nous ressaisir, 
de continuer à vivre notre propre vie et celle de l'Institut 
dès le lendemain matin."


Bénédicte Uyttenhove
"Et que disent vos rêves ?"



lundi 8 octobre 2018

Le symbolisme de la pierre

Lundi 8 octobre 2018


La pierre est un symbole de l’Etre, de la cohésion et de la cohérence avec soi-même.

Sa dureté et sa durée ont impressionné les hommes depuis toujours. Ils y ont vu un symbole de pérennité, face aux changements du monde biologique, soumis de façon permanente aux lois de la naissance et de la mort.

Dressée vers le ciel, la pierre a toujours été un symbole de communication entre l’homme et la Divinité.

La pierre est vivante et toutes les traditions sont d’accord sur ce fait. Nous pouvons le constater dans l’expression de leur énorme capacité de résistance, dans leur volonté de maintenir la cohésion de leurs molécules, pour ne pas se casser ou se briser (ce qui, pour elles, signifierait la mort).

Davantage de volonté signifie davantage de vie. C’est pourquoi la pierre constitue la première solidification du rythme créateur, la musique pétrifiée de la création, et les plus beaux monuments érigés par l’homme ont toujours été réalisés en recourant à la pierre comme élément de base pour leur construction et leur ornementation.

La pierre, entière et intacte, symbolise l’unité et la force, l’affirmation de soi. Mais, brisée et éclatée en de multiples éclats, elle représente le démembrement et la désagrégation de la psyché, la maladie, la déroute, l’échec et la mort.

De nombreuses traditions mentionnent les pierres « noires » ou aérolithes tombés du ciel :
la Cybèle de Pessinonte ou la Ka’ba de la Mecque ;
le Graal du cycle arthurien ou la pierre philosophale des alchimistes.
Ces pierres peuvent être classées dans la catégorie des « bétyles » (de l’hébreu Beth El, « Maison de Dieu »), c’est-à-dire, des pierres considérées comme des « demeures divines ».

(...)



La pierre précieuse par excellence, et considérée comme le symbole le plus achevé de la dureté et de la brillance, est le diamant, que toutes les traditions conçoivent comme symbole de l’ordre et de la perfection, de la stabilité, de la lumière et de l’immortalité.

Platon appelait le pilier du monde « l’axe de diamant ». Dans le symbolisme hindou et bouddhiste, tout ce qui a une signification associée à l’idée de « centre » ou d’ « axe » est généralement assimilé à cette pierre précieuse.
 Le diamant est aussi le symbole du Christ, l’identifiant ainsi à la « pierre précieuse » avec le symbole de « pierre angulaire » qui soutient son Eglise.

Les deux représentent la perfection et l’accomplissement, l’axe qui maintient l’édifice vivant, ce qui équivaudrait, en alchimie, à la « Pierre philosophale » car celui qui l’obtient a trouvé son propre centre et sa véritable identité.

Il a découvert sa « colonne de lumière », qui symbolise son propre être intérieur, qui va lui donner la force de rester toujours droit, vertical et fidèle à lui-même.

Article ICI



Tel le centre psychique, la pierre est parfois l'image du Soi.
(...)

Selon Marie-Louise Von Franz  : 
"Jung insistait toujours sur le fait que la poussée vers l'individuation 
étant ce qu'il y a de plus essentiel chez l'être humain, 
elle fraie son chemin coûte que coûte en chaque individu 
et que, si elle n'est pas aidée consciemment, 
elle se réalisera malgré tout, mais sous une forme négative :
ainsi, au lieu de  trouver la "pierre philosophale" en soi-même, 
on se pétrifie
(...)


La pierre peut revêtir plusieurs aspects symboliques dans les songes.
La pierre est l'existence à l'état pur, aussi éloignée que possible
des émotions, des fanatismes et de la pensée discursive de la conscience.

Comme les cristaux et par son caractère achevé et durable,
la pierre évoque la permanence en nous.

La pierre est ce qui permet la construction, l'édification.
Ce sont alors parfois des pierres parallélépipédiques,
image du fondement d'une évolution possible et de son aboutissement.




La pétrification

Toute pétrification d'un être vivant, dans un rêve,
correspond au blocage d'un principe dynamique capable de revenir à la vie
 et de se renouveler comme un principe vivant.

Cette pétrification des images oniriques s'observe partout
où le principe dominant de la conscience ne reconnaît pas
le caractère toujours en mouvement de l'inconscient.
Cette vision erronée, rigide, et dépourvue de souplesse
a pour effet de figer l'inconscient.

Chaque fois que nous faisons une théorie à propos de l'inconscient
et que nous traitons les mots comme étant plus que des termes descriptifs,
 nous le pétrifions et agissons en sorte qu'il lui est impossible
de se manifester comme une force vivante.

N'importe quelle théorie peut l'affecter et le changer en une chose statique
à qui l'on interdit de se manifester soi-même."


Jacques de La Rocheterie
"La symbologie des rêves"



dimanche 7 octobre 2018

La pierre de Bollingen

Dimanche 7 octobre 2018

« En 1950, j'ai élevé une sorte de monument en pierre
ce que la tour représente pour moi. » 

« La pierre se trouve en dehors de la tour
dont elle est comme une explication.
Elle est une manifestation de celui qui l'habite,
 pourtant elle reste incompréhensible aux hommes. »

cgjung.net


La pierre gravée par C.G. Jung à l'extérieur de la Tour de Bolllingen

"En 1950, Jung élève une sorte de monument 
provenant de ce qui devait être une pierre triangulaire 
mais qui, à la livraison, était cubique.
 
Dans la structure de cette lapis, il voit, sculpté naturellement, 
une sorte d’œil qui le regarde.
Il sculpte autour du petit cercle un Télesphore,
 au manteau de capucin et portant lanterne : 
« Il est celui qui indique le chemin. » 


Inscriptions gravées par C.G. Jung sur la pierre de la Tour de Bollingen


Il sculpte sur une face une strophe latine d’Arnaud de Villeneuve : 
« Voici la pierre d’humble apparence. 
En ce qui concerne sa valeur, elle est bon marché.
 Les imbéciles la méprisent. 
Mais ceux qui savent ne l’en aiment que mieux » 

Sur une autre face, il sculpte en grec des paroles entendues en lui 
alors qu’il travaille cette pierre : 

Le temps est un enfant -jouant tel un enfant
-comme sur un échiquier 
le royaume de l’enfant
 (Héraclite). 


C’est Télesphore qui erre
 par les régions sombres de ce cosmos 
et qui luit comme une étoile s’élevant des profondeurs
 (Liturgie de Mithra). 

Il indique la voie vers les portes du soleil 
et vers le pays des rêves 
(Homère). 

Sur une troisième face, tournée vers le lac,
 Jung laisse parler la pierre elle-même, 
qui lui inspire des phrases latines : 

« Je suis une orpheline, seule; cependant on me trouve partout. 
Je suis Une, mais opposée à moi-même. 
Je suis à la fois « adolescent » et « vieillard ». 
Je n’ai connu ni père, ni mère, 
parce que l’on doit me tirer de la profondeur comme un poisson 
ou parce que je tombe du ciel comme une pierre blanche. 
Je rôde par les forêts et les montagnes, 
mais je suis cachée au plus intime de l’homme. 
Je suis mortelle pour chacun 
et cependant la succession des temps ne me touche pas. » 

Pour finir, il inscrit sous la sentence d’Arnaud de Villani :

« En souvenir de son soixante-quinzième anniversaire, 
C-G Jung l’a exécutée et érigée 
en témoignage de reconnaissance en l’an 1950.
 Cette pierre se trouve en dehors de la tour 
dont elle est comme une explication. » 

Elle est une manifestation de celui qui l’habite, 
comme le précise Jung. 
A savoir Merlin que Jung voulait inscrire aussi sur la pierre. 

La légende dit que les hommes ne peuvent entendre 
ni interpréter le cri de Merlin. Pour quelles raisons ? 
Parce que Merlin, c'est la tentative de l’inconscient médiéval 
de dessiner une figure parallèle, compensatrice, de Perceval. 

Merlin est là pour rappeler qu’il est le fils du diable et d’une vierge pure, 
le contrepoids du héros chrétien. 
Merlin, ce fil du diable, dort encore en nous : 
sa voix n’a été entendue que par les alchimistes
 chez qui merlin se manifeste sous la forme de Mercure (l’esprit mercuriel) 
Qui peut aujourd’hui l’entendre sourdre en soi ?"


Jean-Luc Van Den Bergh
"Les rêves et les visions de Carl-Gustav Jung"




Article du site cgjung.net
.


Jung explique la signification de la pierre (vidéo) :



lundi 1 octobre 2018

Tour de Bollingen : Les étapes de la construction

Lundi 1er octobre 2018



La Tour de Bollingen est un bâtiment
construit par le psychanalyste suisse C.G. Jung,
 ayant l'apparence d'un petit château garni de plusieurs tours,
et situé à Bollingen
sur la rive septentrionale du haut-lac (Obersee) de Zürich
dans le canton de Saint-Gall en Suisse.

Jung fait l'acquisition du domaine en 1922,
après la mort de sa mère.

Il construit d'abord une habitation en pierre
qu'il développe par la suite pour en faire sa « Turm » (tour).
 Sur une période de douze ans il ajoutera à la structure centrale
 trois bâtiments latéraux qui sont supposés rappeler
la représentation de la psyché selon sa conception.

(d'après Wikipédia)

La demeure restera, selon ses souhaits, assez "primitive":
on n'y installera jamais ni l'eau courante,
ni l'électricité.

Pendant la plus grande partie de sa vie,
Jung passa quelques mois par an à Bollingen au bord du lac,
et y réalisa maints travaux d'écriture,
de peinture et de sculpture.

Les étapes de la construction :


1. La tour, seule




2. Première extension

La deuxième phase, construite en 1927, 
commence à ressembler davantage à une maison familiale 
quand une aile de deux étages a été ajoutée à la tour solitaire. 
La maison s'ouvrait désormais davantage sur le lac, 
s'alignant approximativement sur le littoral, 
créant ainsi un espace extérieur entre le bâtiment et le lac.
 Cet ajout a ajouté de plus grandes fenêtres au niveau principal, 
une deuxième plus grande entrée et plus d'espace habitable. 
Jung «a divisé cet ajout en plusieurs zones, le foyer, 
l’étude inférieure et la chambre d’hôtes». 
Dans l’ensemble, ces développements suggèrent que Jung pouvait maintenant 
rester à Bollingen plus longtemps et que sa famille pouvait visiter 
«sans dormir dehors» dans des tentes usées. 

Bair, p. 323


En 1950, à l'occasion de son soixante quinzième anniversaire,
Jung installe au bord du lac, du côté ouest de la tour,
un petit monument de forme cubique en pierre de taille,
sur trois faces duquel il grave des inscriptions.

Un second étage fut ajouté après la mort de la femme de Jung en 1955,
qui symbolise une « extension de la conscience 
à laquelle il parvient dans sa vieillesse ».
Une chambre est alors élevée au milieu de l'édifice.




Après la mort de ma femme. . . 
J'ai ressenti une obligation intérieure 
de devenir ce que je suis moi-même.

Pour le mettre dans la langue de la maison de Bollingen, 
je me suis soudain rendu compte que la petite section centrale 
qui s'accroupissait si bas, si cachée, 
était moi-même ! 
.
C.G. Jung


3. Deuxième extension

Je voulais une chambre dans cette tour 
où je pourrais exister pour moi seul. 
Je pensais à ce que j'avais vu dans les maisons indiennes,
 dans lesquelles il y a généralement une zone - 
même si ce n'est que le coin d'une pièce séparée par un rideau - 
dans laquelle les habitants peuvent se retirer. 
Là, ils peuvent méditer pendant un quart ou une demi-heure 
ou faire des exercices de yoga.
Un tel domaine de retraite est essentiel en Inde, 
où les gens vivent très près les uns des autres. »

Dans ma chambre de retraite, je suis seul. 
Je garde la clé avec moi tout le temps; 
personne d'autre n'est autorisé à y entrer, sauf avec ma permission.
Au fil des années, j'ai réalisé des peintures sur les murs, 

et j'ai ainsi exprimé toutes ces choses qui m'ont conduit hors du temps 
dans l'intemporalité.
Ainsi, la deuxième tour est devenue pour moi 

un lieu de concentration spirituelle.
C.G. Jung




J'ai ajouté une cour et une loggia au bord du lac, 
qui formaient un quatrième élément 
séparé de l'éclat unitaire de la maison.
Ce quatrième élément ouvre le moi 
à la nature et au ciel, au divin et au cosmos.

La cour fait partie de la maison 
mais elle est également liée à quelque chose
 qui dépasse de loin le Soi. 
Regarder dans les yeux de Dieu.



Je pompe l'eau du puits.  
Je coupe le bois et fais cuire la nourriture.  
Ces actes simples rendent l'homme simple; 
et combien il est difficile d'être simple !
.

Mon nom bénéficie d'une existence 
quasi indépendante de moi-même. 
Mon vrai moi est en train 
de couper du bois à Bollingen 
et de préparer les repas, 
en essayant d'oublier l'épreuve 
d'un quatre-vingtième anniversaire.


C.G. Jung 


dimanche 30 septembre 2018

Les maisons de Jung

Dimanche 30 septembre 2018
 


Grand voyageur et explorateur passionné de cultures lointaines,
très tôt reconnu et célébré à l’étranger, Carl Gustav Jung est resté toute sa vie
fermement enraciné dans sa «terre» natale.



Itinéraire




Au bord du lac de Constance, dans le canton de Thurgovie,
 c’est la maison natale de Carl Gustav Jung.
Très vite, la famille déménage au presbytère du château de Laufen,
avec vue plongeante sur les chutes du Rhin.
Au gré des engagements de son père pasteur,
Jung passe son enfance dans des demeures de fonction cossues,
 même si le train de vie familial est étriqué.
Son père est un modeste ministre à la foi chancelante,
animé surtout par le sens du devoir.
Sa résignation provoque chez l’adolescent
une indignation durable et féconde.
A 12 ans, il a la vision de Dieu déféquant sur la cathédrale de Bâle.
Toute sa vie, Jung cherchera la voie d’une spiritualité authentique,
 hors des manifestations religieuses de façade.



Le Burghölzli

Jung est admis comme stagiaire
à la Clinique psychiatrique universitaire de Zurich en 1900.
Il a 25 ans et ne restera pas longtemps un inconnu.
Son patron, Eugen Bleuler, défend une approche humaine du patient
et l’incite à lire Freud.
Il encourage Jung dans ses recherches sur les tests d’association (de mots).
En 1903, jeune marié, ce dernier emménage au Burghölzli avec sa femme Emma.
 En 1905, il est déjà chef de clinique et chargé, à l’université,
d’un cours qui connaît vite un succès considérable.
Particulièrement sensibles au charisme du jeune médecin,
 les femmes sont nombreuses dans l’auditoire et volontiers Russes ou Allemandes:
 l’Université de Zurich admet depuis peu les étudiantes
et les Suissesses seront plus lentes à se décider.


 

La maison familiale de Küsnacht

Dignité, sécurité, tradition. Surtout rien qui ressemble à ces styles à la mode du moment
appelés Art déco ou Art nouveau: c’est l’esprit dans lequel, en 1909,
 Jung fait construire, au bord du lac de ­Zurich, la vaste demeure
dans laquelle, ayant quitté le Burghölzli, il élève ses cinq enfants
et reçoit sa clientèle privée.
La maison est financée par Emma.
C’est là que, dès 1913, après sa rupture avec Freud
et tourmenté par ses pulsions extraconjugales,
Jung vit ce qu’il appellera son «auto-analyse» et d’où sortira Le Livre rouge.
Devenue propriété d’une fondation gérée par la famille, la maison,
 dont la valeur a explosé avec les années, est actuellement habitée par ­Andreas Jung,
petit-fils de Carl Gustav.



La tour de Bollingen

Jung entretient depuis l’enfance un rapport fort et physique avec la nature.
Depuis Küsnacht, il met volontiers, en voilier, le cap
sur le lac supérieur de Zurich et ses rives sauvages
où il initie ses enfants à la vie de Robinson.
En 1922, il achète un terrain et, de ses propres mains (aidé notamment par son fils),
 il y construit une tour, qui s’agrandit ensuite en une sorte de château tout en rondeurs.
En 1923, sa mère meurt et la tour devient, symboliquement,
«un lieu de maturation, un sein maternel» où il opère un retour à l’essentiel.
A ce jour, il n’y a toujours ni électricité ni eau courante dans ce lieu singulier,
que les descendants de Jung se partagent pour les vacances.
«En été, c’est magnifique. En hiver, c’est plus dur,
 raconte son arrière-petit-fils Daniel Baumann:
ce lieu est avant tout un manifeste.»



L’Institut C. G. Jung à Küsnacht

La fondation en 1948 de l’Institut C.G. Jung marque une étape importante:
 c’est le premier lieu de formation à la psychologie analytique,
selon des règles et un cursus formalisés. Jusque-là, c’est Jung lui-même
qui donnait l’autorisation d’exercer à d’anciens patients devenus collaborateurs,
 dans une confusion entre vie privée et pratique professionnelle typique du temps
des pionniers mais impensable aujourd’hui:
 parmi les premiers analystes adoubés par Jung, il y a sa femme Emma
 et plusieurs de ses patientes/collaboratrices/maîtresses.
Actuellement, l’Institut C. G. Jung de Zurich forme environ 130 analystes par an
 (dont 30 pour la Suisse) selon un cursus rigoureux, et même jugé plus «scolaire»
que d’autres formations analytiques.
Le peuple des jungiens comporte par ailleurs de nombreux embranchements,
 notamment celui de l’Association internationale de psychologie analytique.



La Casa Eranos à Ascona

On est à un jet de pierre du Monte Verità et dans la sphère d’influence du genius loci
qui fait de ce coin du Tessin, dès 1901, le point de ralliement
d’une foule bigarrée de «réformateurs de vie».
C’est en contrebas de ce haut lieu, sur la rive luxuriante du lac Majeur,
que la riche Hollandaise Olga Froebe-Kapteyn institue, en 1933,
les Rencontres d’Eranos.
Leur propos frappe par sa modernité: interdisciplinarité,
exploration des rapports entre Orient et Occident et de la dimension spirituelle du monde.
C. G. Jung devient vite un personnage central de ces rencontres,
fréquentées par des chercheurs du monde entier.
Aujourd’hui, les Junghiane tentent de perpétuer l’esprit des rencontres
 et on peut louer des chambres dans la Casa Eranos rénovée.


Chantal Delacotte
"Les demeures de Jung"