lundi 17 avril 2017

Le premier rêve de Jung

Lundi 17 avril 2017

A près de 80 ans, Jung se souvient de son premier grand rêve
et le raconte dans son livre autobiographique "Ma vie".
Il avait à peine trois ou quatre ans quand il le fit, 
et il ne l'a jamais oublié :


Le presbytère est situé isolé près du château de Laufen 
et derrière la ferme du sacristain s’étend une grande prairie. 
Dans mon rêve, j’étais dans cette prairie.


J’y découvris tout à coup un trou sombre, carré, maçonné dans la terre. 
Je ne l’avais jamais vu auparavant. 
Curieux, je m’en approchai et regardai au fond. 
Je vis un escalier de pierre qui s’enfonçait ; 
hésitant et craintif, je descendis. 
En bas, une porte en plein cintre était fermée d’un rideau vert. 
Le rideau était grand et lourd, fait d’un tissu ouvragé ou de brocart  ; 
je remarquai qu’il avait une très riche apparence.

Curieux de savoir ce qui pouvait bien être caché derrière, 
je l’écartai et vis un espace carré d’environ dix mètres de longueur 
que baignait une lumière crépusculaire. 
Le plafond voûté était en pierre et le sol recouvert de dalles. 
Au milieu, de l’entrée jusqu’à une estrade basse, s’étendait un tapis rouge. 


Un trône d’or se dressait sur l’estrade, il était merveilleusement travaillé.
Je n’oserais l’affirmer mais il était peut-être recouvert d’un coussin rouge.
Le siège, véritable trône royal, était splendide comme dans les contes !

Dessus, un objet se dressait, forme gigantesque qui atteignait presque le plafond. 
D’abord, je pensai à un grand tronc d’arbre. 
Haut de quatre à cinq mètres, son diamètre était de cinquante à soixante centimètres. 
Cet objet était étrangement constitué : fait de peau et de chair vivante, 
il portait à sa partie supérieure une sorte de tête de forme conique, 
sans visage, sans chevelure. 
Sur le sommet, un œil unique, immobile, regardait vers le haut.

La pièce était relativement claire, bien qu’il n’y eût ni fenêtre, ni lumière. 
L’objet ne remuait pas et pourtant j’avais l’impression qu’à chaque instant 
il pouvait, tel un ver, descendre de son trône et ramper vers moi. 
J’étais comme paralysé par l’angoisse. 

A cet instant insupportable, j’entendis soudain la voix de ma mère 
venant de l’extérieur et d’en haut qui criait : 
 " Oui, regarde le bien, c’est l’ogre, le mangeur d’hommes !  » 
J’en ressentis une peur infernale et m’éveillai suant d’angoisse. 

A partir de ce moment j’eus, durant plusieurs soirs, peur de m’endormir : 
je redoutais d’avoir encore un rêve semblable. ”
.
C.G. Jung
.


5 commentaires:

  1. Jung donne une interprétation extensive de ce rêve dans Ma vie, mais il semble qu'il n'ait pas donné là toute l'information permettant de le comprendre. C'est ce que met en lumière un livre récent de Pierre Trigano, "psychanalyser Jung", dont il ressort que Jung aurait été victime peu avant ce rêve d'un abus sexuel par un de ses oncles pasteurs. Il a parlé de cet abus dans une lettre envoyée à Freud. C'est la seule trace que nous en ayons mais Trigano montre qu'il y a une foule d'indices corroborant cette thèse. Dès lors, l'interprétation archétypale qu'en donne Jung s'en trouve sérieusement pondérée par une compréhension plus prosaïque, l'une n'excluant pas l'autre : l'angoisse de Jung devant le phallus est bien compréhensible, et "l'ogre, le mangeur d'homme" a une dimension moins métaphysique que celle que Jung nous présente et renvoie de façon assez typique à l'abuseur qui lui inspire encore "une peur infernale".

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    1. Je suis tout à fait d'accord sur le fait qu'il y ait encore beaucoup à dire sur ce rêve en dehors de ce qu'en a dit Jung dans son autobiographie.
      Je n'ai pas encore lu le livre de Trigano, même si j'en ai entendu parler...mais la thèse qu'il défend est plausible.
      Et en effet, cela donne un éclairage bien différent sur le rêve en question, ainsi que sur la "peur" qui clôture le récit.

      J'avais lu le passage où Jung parle de cette agression .
      Mais dans mon souvenir, cette agression avait eu lieu plus tard dans sa vie (vers 11/12 ans). Ou alors y a-t-il eu plusieurs faits du même ordre ?

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  2. Même après des dizaines d'années de réflexions, chaque fois que l'on relit ce rêve, tout ce qu'il dit, tout ce qu'il ne dit pas, on trouve matière à interprétation. Oui, le livre de Trigano est très intéressant et ouvre de nouvelles pistes.
    j'aime beaucoup la nouvelle présentation de ton blog.
    Amitiés en Jung.

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    1. Merci, Ariaga.
      Je vais lire le livre de Pierre Trigano...

      Mais où vois-tu une nouvelle présentation du blog ?
      Je n'ai rien changé dernièrement....(depuis deux ans)

      Amicalement.

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