Vendredi 30 décembre 2016
« Ici, se pose à la science de notre temps cette question capitale :
« parviendrons-nous à réaliser, sur un plan supérieur, le vieux rêve de l'alchimie,
en créant les bases conceptuelles d'une saisie scientifique unitaire
de la sphère physique et de la sphère psychique ? »
Wolfgang PAULI
Carl Gustav JUNG et Wolfgang PAULI collaborent pendant un quart de siècle
autour du rapport entre la sphère physique et la sphère psychique.
Leur exploration conjointe du « problème psychophysique »
les conduit à admettre l'existence d'un arrière-plan au monde phénoménal,
arrière-plan « mi-physique mi-psychique ».
Cet arrière-plan « commun de la microphysique
et de la psychologie dite des profondeurs, écrit JUNG,
est à la fois physique et psychique, c'est-à-dire qu'il n'est ni l'un ni l'autre,
mais constitue un troisième terme, une nature neutre.
[...]
L'arrière-plan de notre univers empirique apparaît en fait
comme un unus mundus, un monde « un » .
Ce modèle, qu'ils établissent à l'aune de la physique et de la psychologie modernes ,
remet en question la représentation que nous nous faisons
de l'inscription de l'homme dans son milieu.
Il suppose, en effet, que l'existence de l'homme,
sa présence et son agir en ce monde,
s'enracine dans ce plan antérieur
où ne vaut ni la flèche du temps ni l'espace comme étendue,
ni non plus la séparation entre moi et autrui
ou encore la causalité.
Ce plan constituerait en quelque sorte l'autre face du monde,
selon un rapport de symétrie, et l'autre face du sujet.
Sa présence et sa structure transparaissent notamment
à l'occasion de certains états psychologiques lors desquels,
le moi étant mis hors circuit, les couches primaires de la psyché peuvent se révéler,
LA FIGURE DE LA DANSEUSE CHINOISE ET LA CONTRACTION DE L'ESPACE
La figure centrale des rêves de Wolfgang PAULI est une danseuse chinoise.
Elle représente, selon lui et JUNG, une compréhension totalisante de la vie
à l'opposé de l'appréhension discriminante du logos
que PAULI personnifie lui-même dans ses rêves.
Dans les rêves du physicien, le couple d'opposés Orient-Occident
représente l'opposition irrationnel-logos,
mais la Chinoise personnifie également l'inconscient
en tant que totalité psychophysique.
« La Chinoise, écrit PAULI, ne se situe pas seulement
au-delà des couples d'opposés catholicisme-protestantisme, mystique-science de la nature, etc.,
elle est elle-même cette unité absolue de la psyché et du monde physique
qui pose encore problème à l'esprit humain, elle voit des choses particulières.
Mais, libre de toute rationalisation, elle ne possède pas les mêmes capacités rationalisantes
que ma conscience (pensée logique, mathématique, etc.). »
Dans l'un des rêves de PAULI,
l'agissement de la Chinoise produit une transformation de l'espace :
tournant sur elle-même, formant un axe entre ciel et terre, tout en se déplaçant,
sa danse a pour effet de « contracter » l'espace.
« Tandis que j'attends, elle repart dans l'escalier
sans cesser de « danser » de façon rythmée,
repasse par la porte de la trappe puis redescend.
Ce faisant, elle tient l'index de la main gauche et la main gauche en l'air,
tandis que son bras droit et l'index de sa main droite sont dirigés vers le bas.
Ce rythme répété se met à agir et donne naissance à un mouvement de rotation
(circulation de la lumière).
L'espace qui sépare les deux étages semble se rétrécir de façon « magique ».
« La Chinoise, commente JUNG, relie visiblement en rêve les positions opposées,
et cela donne naissance à la « circulation », c'est-à-dire à la rotation.
Cette dernière est accompagnée d'une modification de l'espace qui se contracte.
C'est ainsi qu'il y a aussi une modification du temps et de la causalité ! »
Comme l'indique le rêve, la contraction de l'espace se produit
par un mouvement de circulation ou de rotation. Dans plusieurs rêves du physicien,
l'on retrouve également décrit un espace circonscrit et limité
par un mouvement de rotation ou de circumambulation –
par exemple, les rêves numérotés 16, 51 et 52 de Psychologie et Alchimie :
« Une salle de danse rectangulaire.
Tout le monde se déplace à la périphérie, de droite à gauche. » ;
« Bien des gens sont présents.
Tous font le tour d'un carré en allant vers la gauche » ;
« Il règne une grande tension. De nombreuses personnes circulent
autour d'un grand rectangle central ».
L'espace qui se constitue au fil de ces rêves
est de forme quadrangulaire, de dynamique circulaire
et marqué au centre par un axe vertical.
L'on reconnaît donc là la structure géométrique typique des mandalas
qui sont au coeur des travaux de JUNG depuis sa lecture
du Traité du mystère de la Fleur d'or de LU TSOU,
traité d'alchimie chinoise que lui avait remis Richard WILHELM.
LU TSOU y décrit un mouvement circulaire de centration et de métamorphose de la vitalité
qui produit la manifestation d'éléments contenus ordinairement dans l'« âme spirituelle ».
Selon les observations de JUNG, ce double mouvement,
de centration et de jaillissement, spontané
peut se manifester par des symboles oniriques, ou encore par des dessins
lorsqu'il atteint la sphère corporelle, mettant en mouvement la main
indépendamment de la volonté du sujet.
Les symboles viennent alors configurer l'espace réel de la feuille.
« L'unification des opposés à un niveau supérieur, écrit JUNG,
n'est pas une affaire rationnelle ni davantage une question de volonté,
mais un processus psychique de développement qui s'exprime dans des symboles.
[…]
Les productions spontanées de l'imagination dont nous avons parlé plus haut
s'approfondissent et se concentrent progressivement en structures abstraites
qui représentent apparemment des « principes ».
[…]
Si les imaginations traduisent sous forme de dessins,
on voit apparaître des symboles qui appartiennent surtout au type « mandala. »
Par ailleurs, il arrive que cette mise en mouvement spontané
ne concerne pas uniquement la main, mais implique le corps tout entier
en se manifestant sous la forme d'une espèce de danse
que JUNG appelle « danse du mandala ».
« J'ai observé chez mes patients des femmes
L'Inde possède un terme pour cela : mandala nrtya, danse du mandala.
Les figures de la danse traduisent le même sens que les dessins.
Les patients eux-mêmes ne peuvent pas dire grand-chose de la signification des symboles
en forme de mandala qu'ils produisent. »
JUNG souligne que ces figures que le corps exprime par sa gestuelle
ne sont pas le fait de suggestions de sa part, et doivent être considérées par conséquent
comme des formes appartenant à l'inconscient collectif
– ce qui explique que des formes identiques à celles des mandalas bouddhiques
se retrouvent dans toutes les cultures du monde.
« Lorsque mes patients produisent de telles images, écrit JUNG,
il est évident que cela ne provient pas de suggestions, car elles furent créées
bien avant que j’ai connu leur signification ou leur relation avec les pratiques de l’Orient
qui m’étaient alors totalement étrangères. »
Le psychologue et le physicien s'accordent ainsi pour voir dans la forme des mandalas
le reflet de l'organisation de la couche la plus profonde de la psyché,
puisque leurs apparitions spontanées se produisent
à mesure que la conscience se soustrait du monde environnant et s'enfouit dans les profondeurs.
Il y a là deux mouvements complémentaires qui produisent une espèce de renversement :
avec le « retournement du regard », des contenus de l'inconscient collectif surgissent
pour faire effraction dans le monde.
Le corps devient alors le médium de ces formes universelles
qui traversent le sujet et modèlent l'espace.
.
"La déchirure de l'espace et la naissance du sujet"
.
Danse dont les mouvements se "projettent" sur une surface plane (écran)
et dessinent ainsi de splendides mandalas lumineux
qui ressemblent, à s'y méprendre, à des "danses de particules"...
.
Quelques rêves de "danse"
évoqués dans ce blog :
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