lundi 14 novembre 2016

Le Soi de Jung et l'Ange de Corbin

Lundi 14 novembre 2016


Carl Gustav Jung et Henry Corbin. 
Monde de l’Inconscient & Monde Imaginal 


Introduction

 Notre époque ne montre que trop de signes d’épuisement et ceci à tous les niveaux : 
écologiquement nous sommes face à un monde surpeuplé, surexploité et surchauffé 
où des espèces animales et végétales disparaissent tous les jours 
et où l’espèce humaine aurait l’occasion de s’infliger la même chose ; 
psychologiquement, les gens sont de plus en plus en souffrance 
au point où certains parlent de « borderlinisation » de la société ; 
spirituellement, les églises perdent leur rôle d’inspiration et, 
lorsque les lieux de culte se remplissent, souvent l’intégrisme est de la partie.

Nous sommes bien dans le Kali Yuga, l’Âge de Fer des Hindous ou peut-être même pire. 
En effet, nous sommes plus bas que le fer, nous sommes à l’ « Âge de Plastique », 
ère où cette matière vulgaire et envahissante pollue notre environnement naturel 
et même notre organisme. 
C’est d’ailleurs une matière qui, à la différence de la pierre, 
du bois ou du métal façonné par les artisans, n’est pas conductrice, ne vibre pas. 
Autrement dit, elle est opaque et ne laisse donc pas passer la lumière :
 c’est une matière ahrimanienne par excellence. 
Il n’est donc pas étonnant que notre époque où ce plastique s’amasse jusqu’à l’horizon 
soit aussi celle où l’on ne voit plus la lumière de l’Orient, 
l’Horizon de l’âme, si chère à Henry Corbin. 

Dans ce marasme spirituel et matériel, ce dernier n’avait pas attendu l’âge mûr 
pour s’inquiéter et se révolter. Lorsqu’il faisait partie, 
dans les années 30, des jeunes intellectuels non-conformistes, 
il savait déjà que l’homme n’était plus en quête de sagesse
homo sapiens devenait homo oeconomicus, 
« machine imbécile à produire et à consommer » et le règne du quantitatif était né. 
Et certainement, depuis le début de ce règne, une quantité de désastre a eu lieu.

Il a alors cherché une issue dans ces ténèbres, 
en se réorientant vers la lumière de l’âme,
 et l’a trouvée révélée dans le Mundus Imaginalis ou ‘Âlam al-Mithâl, 
monde médian et médiateur entre notre monde sensible et le monde intelligible. 
C’est le monde « entre Ciel et  Terre » où le contact entre Dieu et l’homme se fait. 
Ainsi, l’âme peut être réorientée et sauvée, notamment par l’entremise de l’Ange 
ou, mieux dit, de son Ange, figure par excellence de ce monde intermédiaire. 

Ainsi, le monde phénoménal prend origine et trouve son sens au-delà de lui 
et évite alors de tomber dans l’historicisme du temps horizontal 
qui le rendrait absurde car instantanément dépassé, 
perpétuellement périmé par rapport à lui-même.
La « sénescence programmée » des appareils électroniques, 
les starlettes érigées en idole planétaire du jour au lendemain avant de finir dans l’oubli,
 les ressources financières ou même naturelles 
qui peuvent disparaître en un clin d’œil (ou un clic de souris) 
sont peut-être autant de symptômes de cet historicisme
de ce temps sans fondement qui ne peut que se désintégrer à peine apparu. 

Corbin a raison, il faut aller plus loin que cet horizon de l’historicisme
 qui, dans notre monde actuel de l’instantané, 
est tellement près qu’il est finalement déjà derrière nous 
et voilà pourquoi nous perdons pied, nous ne pouvons plus nous orienter, 
car nous ne reposons sur plus rien, nous sombrons dans l’abîme. 
Evidemment, après la mort de Dieu annoncée par Nietzsche, 
nous ne pouvions qu’arriver à la mort du monde créé par Dieu.
 Hors de la hiérohistoire donc, point de salut ! 

Il faut retrouver l’Ange, le sacré, la verticalité 
pour régénérer ce temps qui s’épuise, 
sinon l’eschatologie, qui est en réalité une résurrection, 
deviendra véritablement une fin du monde.
 Corbin nous rappelle d’ailleurs la belle prière zoroastrienne (Yasna XX ,9) :
 « Puissions-nous être ceux qui oeuvrent pour la Réjuvénation du monde. »

Parallèlement, Carl Gustav Jung a lui aussi constaté 
que l’homme avait abandonné, quasiment dénié, son âme 
au point d’en faire une farce. 
Ainsi il s’étonne du fait que, lorsque nous parlons d’une chose 
en la définissant de psychologique, 
c’était comme si nous disions qu’elle était irréelle, factice 
(pensons par exemple en médecine à la « douleur psychologique » 
qui veut dire dans la bouche de certains une douleur simulée). 
Nous retrouvons là en écho une indignation toute corbinienne 
face à la confusion entre l’imaginal et l’imaginaire. 

Car pour Jung, comme pour Corbin avec l’imaginal,
 l’âme est quelque chose de réel, 
d’objectif avec laquelle il faut composer. 
Le titre d’une de ses œuvres, De la Réalité de l’Âme
est assez explicite.

Il faut ainsi écouter la psyché inconsciente ou plutôt, 
vu que l’Inconscient est par définition inconnaissable, 
observer ses manifestations et les interpréter pour évoluer. 
Pour prendre un terme cher à Corbin, j’oserai dire qu’il faut, en tant que jungien, 
faire un ta’wîl vers l’âme, en l’âme et avec l’âme, 
comme les soufis voyagent vers Dieu, en Dieu et avec Dieu. 

Et Jung a trouvé le moyen de le faire en étant guidé par ce qu’il a appelé le Soi 
ou, mieux dit, son Soi, qui serait d’une certaine façon 
le centre absolu de sa psyché  et aussi sa totalité.

Le Soi de Jung est donc comme l’Ange de Corbin, qui complète l’âme, 
car « l’âme  terrestre est en déficience, en retard sur elle-même,
 c’est-à-dire sur la totalité de son être » 
(Eranos Jahrbuch 1951, p176)
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Alexandre Ahmadi
texte entier ICI
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