Lundi 28 mars 2016
"Que voulez-vous que je vous dise, braves gens ?
C'est pas moi qui guéris, c'est la Vouivre !
Et la vouivre est à tout le monde..."
Henri Vincenot
"Le pape des escargots"
Voici un livre très complet,
de Kintia Appavou et Régor R. Mougeot,
sur un symbole un peu méconnu :
celui de la Vouivre...
(serpent ailé portant sur le front une escarboucle)
Ce symbole avait été choisi, en raison de son extrême richesse
comme emblème par la revue jungienne suisse,
renommée plus tard "Culture et pensée jungienne"
(Cf ci-dessous)
image ici
.
Dans le ciel étoilé, elle volait gaiement,
De châteaux en donjons tout à son agrément,
Aux ruisseaux, aux fontaines, elle aimait s'abreuver,
Et aux fleuves limpides souvent elle s'est baignée.
Mais la belle escarboucle brillant à son front,
Attisa la rancoeur du pauvre Montagnon,
Belle vouivre dorée, mon âme pleure encore,
Pour ce triste manant qui a voulu ta mort ...
L'histoire nous l'a dit, peu de jours il vécut,
De ton oeil qu'il vendit, tira bien mille écus,
Qui tournèrent matin en mille éclats de buis ...
Belle vouivre dorée, reviens nous cette nuit !
Animal ailé à corps et tête de femme, à queue de serpent,
le front garni d'un superbe diamant,
qui sort de l'eau dans les zones marécageuses,
sous les yeux incrédules des témoins innocents ....
Les Vouivres tiennent à la fois du dragon, du serpent,
du basilic, du cocadrille, de la tarasque
et de toutes ces autres créatures chtoniennes,
la différence essentielle tient au fait que la Vouivre est aussi
aquatique, vulcanienne et aérienne.
Elle est à elle seule la synthèse des 4 éléments,
bases de toutes les initiations...
.
On l'évoque longuement dans le roman éponyme de Marcel Aymé,
et dans "Le Pape des escargots" d'Henri Vincenot
Mais on la rencontre aussi dans toutes les provinces françaises...
Les légendes, les contes, les récits
que les mythologues ont rassemblés à son sujet
sont énumérés - dans le livre cité ci-dessus -
de façon impressionnante.
Dracs, dragons, vouivres, guivres, vuipres, wivres,
graouly, tarasques, coquadrilles, coulobres,
mâles bêtes, dards, gargelle ...
domptés par des héros, des chevaliers, des saints et des saintes,
voire de simples paysans, sont partout, dans tout le terroir,
comme des nouveaux qui les relaient,
le plus souvent sur les mêmes lieux d'ailleurs,
lorsque se fait la christianisation.
.
La première partie du livre traite
du symbolisme même de la Vouivre.
Le Serpent est d'abord montré comme étant à l'origine des temps
dans presque toutes les civilisations sous les noms d'Atoum en Egypte,
de Shesha , Makha, Vrita, Namuci en Inde, d'Ungud,
de Yurlungur, de Birndina ou d'Angamundi
chez les Aborigènes australiens,
de Mbumba chez les Bantous, du Serpent-d'Arc-en-Ciel au Bénin,
de Kan ou Gan chez les Quichés du Guatemala, etc. ...
Il est souvent bisexué,
toujours à l'origine de la création,
symbole de la Nature Naturante androgyne
Le Dragon-Vouivre personnifie aussi les forces naturelles du chaos à maîtriser.
Représentant le temps, il devient l'Ouroboros qui, dévorant sa queue,
nous invite à pénétrer dans les entrailles de notre chaos intérieur,
ce qui explique pourquoi les traités d'alchimie lui font une si grande place.
Objet de culte dans toute l'Afrique comme en Asie
(où le culte du serpent-dieu a encore cours dans la jungle birmane),
mais aussi dans les Abruzzes italiennes de nos jours,
le Serpent est souvent associé au combat entre la lumière et les ténèbres :
Apollon tue le python de Delphes,
Son culte a presque disparu en Europe occidentale du fait du christianisme
qui a muré les anciennes cryptes, comblé les puits sacrés.
Les auteurs rejoignent là, en les citant, certaines conclusions de C.G.Jung
dans "L'Homme à la découverte de son âme".
Sur toute la Terre et en tout temps, les dieux et les déesses,
voire les Héros divinisés, prennent forme de serpent ou,
à tout le moins, queue de serpent: Ua Zit sous la forme du cobra,
Renenoutet, déesse des moissons, Isis Thermoutis
Nuilil "la Grand Mère Serpent des Cieux"
et Nidaba, "la Dame-Serpent divine" chez les Sumériens;
Echida, reine des Cythes; Zeus ou Jupiter-Amon,
Cécrops à queue de serpent fondateur d'Athènes
ou Erechtonios, son défenseur; Nommo, le Dieu d'Eau des Dogons;
les Nâginis du Népal et de tout l'Orient, etc....
Partout, la queue de serpent
est "la racine chthonienne de la divinité"
selon le mot cité de A.K.Coomaraswamy
dans La Doctrine du Sacrifice.
Le Dragon-Vouivre a également comme fonction
d'être Gardien du Seuil,
le seuil du passage de l'humain au divin.
Il est, dans de nombreuses légendes de nos provinces,
le gardien d'un trésor caché.
Mais les auteurs nous font découvrir que derrière l'or matériel
se cache en vérité le Corps de Gloire
comme le montrent tous les Alchimistes.
Ce Dragon est aussi Gardien de la Fontaine de Jouvence.
Il possède l'Escarboucle,
symbole du Troisième Œil, du don de Voyance.
D'où les images données du Dragon à tête de Licorne
et de la Licorne à queue de serpent.
(...)
maîtrisent le Dragon pour délivrer la Femme
sont vues comme montrant l'Unité humaine éclatée.
Triompher de l'épreuve permet le retour à l'unité de soi,
le retour au Principe, par l'acquisition de la Noblesse véritable,
celle du corps, du cœur et de l'esprit.
Voilà pourquoi, nous dit-on, le Héros épouse la fille du Roi !
(...)
L'homme, avalé puis recraché,
à l'exemple de Jonas par la baleine, dans la Bible,
est l'initié qui, dans la caverne, la grotte,
l'antre de la Vouivre, est mort à lui-même.
Dans le chapitre "De la Chevauchée de la Tarasque à la Décollation",
les auteurs nous proposent les clefs d'un véritable ésotérisme chrétien
exposé à la vue de tous dans certaines sculptures, figurant sur les chapiteaux,
les porches et les façades de nos églises romanes.
Ils nous exposent tout d'abord celles qui représentent
l'homme dévoré par la Tarasque,
par le Dragon-Vouivre, c'est-à-dire par l'Energie,
puis celles qui le montrent chevauchant la Bête.
Equivalentes à ces dernières, sont celles où le saint, la sainte,
Viennent ensuite les saints céphalophores,
marchant au gré de la Vouivre en tenant leur tête coupée
bien en main, au niveau du cœur.
Un parallèle intéressant et révélateur est fait
avec la Domestication de la Vache dans le Zen
qui montre la concordance de deux traditions bien lointaines.
Tympan Conques : Léviathan
Sur les porches de nombre d'églises romanes,
au-dessus des hommes dévorés par le diable ou le Léviathan à droite,
et ceux emportés à gauche par les anges,
c'est-à-dire dévorés par leurs vertus, par la Licorne,
nous disent les auteurs en illustrant leur propos par de textes pertinents,
se trouve le Christ en Gloire, dans sa mandorle.
Le Christianisme révèle ainsi, comme tant d'autres traditions,
au-delà de la voie du salut, celle de la Libération.
Cependant, une discrimination est faite entre le dragon à tuer,
l'Hydre représentant l'ego inférieur,
et le Dragon représentant l'Energie vitale
qui, lui, est à maîtriser, à l'exemple de Saint Michel
Le chapitre sur Gargantua,
Morgane, Mélusine, sur les Fées donc,
ouvre d'intéressantes perspectives.
(...)
Mélusine et Morgane sont présentées
comme des personnifications de la Mère Universelle.
Dans leur forme humaine, elles épousent les hommes
qui deviennent Héros ou Rois,
les hissant au rang divin, et toutes les dynasties
revendiquent justement une origine non humaine.
(...)
...Mélusine peut aussi bien être justement vue, nous dit-on,
comme Mère-Lus (Mère de la Lumière),
Mère-Ogresse (Malorcine, Mélorcine, avec la racine orc),
Mère-Ourse (Méloursine, évoquant l'étoile polaire)
ou encore Mère-l'Oie (Méloursine, ours = oie),
les différentes facettes s'enrichissant et se complétant sans s'opposer.
.
qui a disjoint ce qui était autrefois regardé comme un.
Le Dragon rassemblait le bien et le mal :
il est dissocié en dragon maléfique
et en saint ou sainte issu du Dragon
qui seul en concentre l'aspect bénéfique.
Gargantua est à la fois diabolisé
et les lieux et tombes de Gargantua
deviennent roches, gouffres du diable
Mélusine est également diabolisée, en infâme serpente,
mais christianisée en sainte Vénice(ou Sainte Véronique).
Les Morganes sont brûlées comme sorcières
dans le même temps
où se répand le culte de sainte Marguerite.
L'homme ainsi n'a plus d'humus pour vivifier ses racines.
Tout cela met en évidence pourquoi, dans de nombreuses traditions
(Indiens Navajo, Africains de Casamance,
pèlerins d'Epidaure dans la Grèce antique etc. ...),
L'image du Caducée,
dont on nous montre la plus ancienne représentation connue,
Le rappel est fait du Christ, "Serpens, Christus, proper sapientiam",
considéré par les Pères de l'Eglise comme le Serpent crucifié
en rappel du serpent d'Airain élevé par Moïse sur l'Etendard
pour la guérison des Hébreux mordus par les Brûlants.
Mais est évoquée aussi l'insurrection de la Kundalini
lovée au bas de la colonne vertébrale,
les nâdis Shushumâ, Idâ et Pingâla de la tradition indienne
étant à l'image du caducée.
Le lieu où est lovée la Kundalini endormie est appelé "Luz"
dans la tradition hébraïque.
La guérison véritable, c'est alors l'ouverture des chakras
par l'insurrection du serpent qui s'élève jusqu'aux fontanelles.
La seconde partie du livre aborde les émanations de la Vouivre,
c'est-à-dire de la vie manifestée par l'énergie de la Terre
fécondée par celle du Ciel.
(...)
Selon les auteurs, la Vouivre peut donc être vue :
comme l'Energie du Serpent Premier à l'Origine de la création,
comme la Vie des courants telluriques qui innervent la Terre,
tout comme la Kundalini qui se dresse du sacrum aux fontanelles
dans l'être enfin réalisé.
(...)
.
"On appelle du nom de Vouivre les courants d'Énergie tellurique
qui innervent la Terre-Mère, qui lui donne son souffle, sa chaleur,
afin de nourrir tous les êtres vivants qu'elle recèle en son sein.
Elle est cette énergie fantastique à laquelle on imputait la crue des fleuves,
les tremblements de terre, les éruptions volcaniques,
les forces terrifiantes de l'érosion qui sculptent les paysages,
énergie personnalisée par Gargantua
et tous les géants mythiques de nos provinces.
Elle est cette Énergie
qui colore les sources que l'on dit guérisseuses.
Les hommes, de tout temps, l'ont représentée
sous la forme du Serpent-Dragon souterrain.
En parcourant l'échine de la Terre,
elle aspire à rejoindre son complémentaire,
c'est-à-dire l'Énergie Cosmique.
Tout ce qui vit entre Terre et Ciel est voué à ces deux formes d'énergies,
et l'Homme est le pivot, le lien les rassemblant et les unissant en lui.
Cela lui est fort difficile car les énergies de la Terre sont chaotiques
et ce Feu peut détruire et dévorer celui qui n'en a pas la maîtrise."
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