Dimanche 1er novembre 2015
En Europe, à la
Renaissance,
on connaît encore bien le symbolisme de la spirale,
et il est souvent attesté, dans un contexte qui n’est guère ambigu.
Détail du Christ de Vézelay
Perpétué au Moyen Age
(comme le montrent par exemple les forces cosmiques en spirale
pénétrant le corps du Christ, dans un crucifix irlandais daté du VIIe siècle
et conservé à Dublin au National Museum of Ireland),
puis par
Dante
(à travers les cercles concentriques
de son Enfer et de son Purgatoire)
et par Jean de la Croix (avec sa Montée du Carmel),
il se retrouve chez nombre d’artistes, parmi lesquels Dürer, Botticelli
(qui a composé un célèbre vortex inversé en illustration à l’Enfer de Dante)
ou Paolo Uccello, dont le saint Georges,
émergeant du labyrinthe et de la forêt obscure de l’inconscient, charge le dragon,
et crée ainsi une véritable situation cosmique archétypale,
rappelée par le
tourbillon de nuages en spirales accumulé derrière lui.
Sur le plan architectural,
le célèbre plafond de Saint Charles aux quatre Fontaines,
ou la lanterne en forme de spirale
de Santo Ivo della Sapienza
(qui n’est pas sans évoquer le minaret spiralé
de la mosquée irakienne de Samarra,
ou le vaste mandala qu’est le temple de Borobudur),
construits par Borromini, nous rappellent
que l’évolution de l’esprit est un chemin
en spirale ascendante vers Dieu.
À partir de la Renaissance,
la société européenne connaît de profondes mutations,
qui seront fatales à la connaissance traditionnelle des symboles,
et à la transmission initiatique en général.
Mais, au milieu de cette « laïcisation » des symboles,
il est très troublant de voir des résurgences en quelque sorte spontanées,
chez des créateurs – et non des moindres
– qui ressentent le besoin d’introduire la spirale dans leur univers imaginaire,
et renouent, à travers leur propre phantasmatique,
avec cet archétype immémorial :
E. Poe nous raconte, dans Une descente dans le Maelström,
l’histoire d’un marin qui, absorbé par ce tourbillon,
en comprit la nature spiralée, et réussit à remonter à la surface ;
Van Gogh peint une extraordinaire « nuit étoilée »,
nous restituant la vie cosmique sous une forme véritablement visionnaire,
à travers les énormes volutes animant son ciel nocturne d’un souffle puissant.
Et lorsqu’Apollinaire écrit, dans Alcools,
Descendant des hauteurs où pense la lumière
Jardins roulant plus haut que tous les ciels mobiles
L’avenir masqué flambe en traversant les cieux,
il retrouve le même symbolisme :
tant il est vrai que les créateurs se définissent avant tout
par cette aptitude à s’immerger dans ces courants de forces fondamentales,
et à les transcrire à travers leur art, leur ascèse, leur coloration personnelle.
Un peu plus tard, les progrès de la psychologie et les travaux de
C.G. Jung
montreront d’ailleurs que nous sommes tous habités, sans le savoir,
par ces symboles fondamentaux, dans ce que nous appelons notre inconscient :
les
mandalas dessinés par ses patients s’organisent souvent autour de spirales,
et lui-même définira la spirale
comme l’archétype du processus de développement de la psyché.
Ainsi, la boucle est bouclée : des spirales néolithiques de Gavr’inis
à celles des sujets étudiés par C.G. Jung, c’est bien le même psychisme humain
qui fait effort pour se comprendre, et comprendre le cosmos,
à travers ce splendide symbole à la fois vivant
(car il nous implique, comme d’ailleurs tous les symboles)
et puissamment unificateur :
car c’est une belle source d’espérance de penser que,
depuis l’aube de notre société jusqu’à notre période « moderne »,
des hommes de cultures, de périodes, d’horizons différents ont médité,
parfois de façon très savante, parfois plus inconsciemment,
mais avec toute leur application, leur ferveur et leur honnêteté,
sur le symbole de la spirale,
c’est-à-dire sur eux-mêmes et sur le sens profond de leur vie.
C’est sans doute un moment important
(et dont nous n’avons peut-être pas encore perçu toutes les implications)
que cette rencontre, caractéristique de notre époque, entre la science
(qui découvre expérimentalement des spirales,
dans l’infiniment grand comme dans l’infiniment petit,
et y reconnaît une des structures fondamentales de l’univers)
et la symbolique, qui n’a cessé, par tradition et par intuition,
d’organiser et de reproduire des formes spiralées :
il y a là, à tout le moins, matière à réflexion.
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Joël Thomas
"La spirale symbole de la vie et du temps"
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Images de belles spirales :
ICI