samedi 31 octobre 2015

Le symbole de la spirale (3)

Samedi 31 octobre 2015

Revenons rapidement sur l'antiquité du symbole : 
nous avons vu qu’une interprétation de type positiviste 
ne résistait pas à la richesse de l’image elle-même de la spirale ; 
et l’on sait que le symbole est attesté à peu près partout, 
plusieurs millénaires avant Jésus-Christ :

dalles de Grav'inis

sur les pierres levées du nord de l’Europe, 
mais aussi dans le Val Camonica (3e/2e millénaire), 
dans les Pyrénées, en Provence (sans doute avant l’Orient), 
en Égypte, et en Mésopotamie dès le 2e millénaire,
puis en Crète.

C’est dans ces deux dernières aires géographiques 
qu’apparaissent les preuves irréfutables
de l’utilisation de ces symboles spiraloïdes 
dans un contexte ritualisé, par rapport à une cosmologie, 
une ontologie ou une eschatologie.


Ainsi Gilgamesh, le héros de l’épopée sumérienne, doit, 
au terme de son voyage et de sa quête initiatique de l’immorta­lité 
(dont les connotations symboliques sont très claires), affronter Humbaba, 
le roi du monde des morts et le gardien de la forêt-labyrinthe. 
Or un masque de terre cuite babylonien, daté de cette époque, 
représente le visage de ce démon à l’aide d’un seul trait enroulé :
la spirale labyrinthique et les méandres des obstacles à la Quête 
sont bien associés dans le contexte de l’initiation héroïque.


De même, le temple de Tarxien, à Malte (2400 av. J.-C. environ), 
fait apparaître une double spirale 
(symbole de l’équilibre des énergies en mouvement)
 entre deux piliers (symbole de l’axe vertical immo­bile). 


Franchir ce seuil, pour le mort, ou l’initié, 
c’est s’immerger dans l’énergie cosmique 
cor­rectement orientée et interprétée : 
c’est se transfigurer. 



Un objet votif des Cyclades, daté du 3e millénaire, 
combine le symbolisme de la spirale et celui des nombres, 
en l’occurrence sept et neuf
véritable mandala destiné, lui aussi,
à décrire le chemin d’un retour,
 celui de l’âme vers ses origines, par delà la mort.

Mais le plus fascinant, parce que le plus mystérieux, 
demeure sans doute le célèbre disque de Phaïstos 
(daté du XVIIe siècle av. J.-C. et conservé au musée d’Herakleion), 
avec sa spirale et ses glyphes toujours indéchiffrés à ce jour, 
mais dont on devine toute la profondeur symbolique latente et qui,
tel un Sphinx, nous interpelle comme une énigme sur nous-mêmes.


............

Avec le temps, la pérennité du symbole de la spirale
est tout aussi remarquable, 
et mériterait de longs développements ; 
nous ne pouvons que donner ici quelques lignes directrices. 
Nous sommes surtout frappé personnellement par la façon 
dont le symbole continue à habiter l’inconscient des créateurs, 
alors même que leurs œuvres ne se situent plus 
dans un contexte initiatique ou ritualisé.


Dans un premier temps, et pour une longue période,
 c’est l’« âge d’or » du symbole, à travers une parfaite adéquation 
entre les représentations qui l’intègrent
et le sens symbolique qui les sous-tend.
Les exemples ne manquent pas, puisqu’on peut les trouver
dans toutes les civilisations « traditionnelles », 
à commencer par l’Antiquité classique : 
tours spiralées (Babel), circuits de mort (Jéricho), 
mais aussi de vie (les deux circuits annuels
des Saliens des­tinés à protéger Rome), 
labyrinthes (de Cnossos à Cumes), 
spirales irradiant, sous forme de rayons, 
à partir de représentations d’Apollon ou de Dionysos 
sur des mosaïques (cf. musée de Corinthe), 
lituus en forme de crosse (donc de spirale) des augures,
 hérité de l’art des Étrusques ;



enfin, représentation par des cercles concentriques 
des différents plans d’existence rencontrés par l’initié
 dans les cultes à mystères (Mithra, Isis), 
et dont on a vu qu’elles équivalaient symboliquement à des spirales, 
de par la propension qu’a tout mouve­ment circulaire 
transposé dans une quatrième dimension (espace-temps)
 à devenir une spirale
(cette remarque est valable pour les boucliers des héros de l’Épopée 
et pour leurs scènes disposées circulairement :
le bouclier d’Achille, celui d’Énée) 

Le symbolisme de la spirale est tout aussi vivace,
 tout aussi profondément vécu par ses créateurs,
jusqu’à la Renaissance.


Attesté dans l’art byzantin,
et chez les peintres d’icônes (par exemple chez Roublev),
 il est le fondement même de la technique de représentation 
et d’organisation de l’espace des miniatures per­sanes :
 il a été établi que, sur 250 œuvres répertoriées,
et datées de 1400 à 1675, 
60 (4 %) sont organisées autour de spirales, 
et 28 (8 %) autour d’arabesques, filles de la spirale et, 
malgré l’omniprésence et la valeur fondamen­tale de cette structure 
par rapport à leurs créations,
 les artistes arabes n’ont jamais parlé de cette organisation savante : 
elle faisait partie des secrets de métier, et était encore liée à une initiation
et l’on sait que la pensée de l’Islam, à cette époque, attache, 
comme l’a bien montré Henry Corbin
une importance fondamentale à la distinction entre le zâhir 
(l’exotérique, ce qu’on peut dire) et le bâtin 
(l’ésotérique, qui est du domaine du secret).
.
(à suivre)
.
Joël Thomas
"La spirale, symbole de la vie et du temps"
.


P-S : Cliquez sur la toute première photo :
vous verrez, en bas et  à droite, un détail fascinant,
deux serpents qui se font face...
comme dans un caducée...

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