jeudi 30 juillet 2015

Interprétation du rêve par l'auteure

Jeudi 30 juillet 2015

Je retiens particulièrement ce rêve, parce qu'à mes yeux, 
outre qu'il est fort intéressant 
sur le chemin d'évolution de Marthe, individuellement, 
il m'a semblé qu'il pouvait aussi parler collectivement 
et décrire une dynamique des relations que peuvent entretenir 
le masculin et le féminin contemporain.
Dit autrement, ce rêve me paraît un grand rêve
Marthe rêve pour elle-même, 
mais en même temps rêve de, et pour, nous tous.

Son langage, contrairement aux règles de la logique formelle,
est pluri-signifiant, 
et peut délivrer des couches successives de significations 
qui ne s'excluent pas entre elles.

On peut le lire de manière freudienne, sur le plan de la sexualité personnelle, 
de manière jungienne, sur le plan de l'individuation de la rêveuse, 
et de manière plus vaste comme itinéraire spirituel et collectif 
de notre monde contemporain, voire comme Shéhérazade, universel...

D'entrée, d'ailleurs, le rêve nous y autorise
en décrivant la présence, sous leur maison, 
lieu de vie intérieure du moi et du couple,
d'un gouffre très grand et circulaire, 
d'un lac souterrain qui communique
avec une rivière également souterraine.

La cave de la maison est l'inconscient personnel 
et le gouffre et la rivière souterraine, l'inconscient collectif.
Ce qui arrive à chacun d'entre nous est en lien, le plus souvent à notre insu, 
avec les autres humains, des plus proches aux plus éloignés ; 
que nous le voulions ou pas,
nous sommes solidaires et sensibles les uns aux autres.

Le béton de la cave et du sous-sol 
(constructions de la culture, par opposition à la nature) 
n'empêche pas cette communication.
Le mur de pierres sèches, de technique ancienne, 
relie aussi le rêve aux savoir-faire et savoir-être traditionnels : 
nos anciens savaient déjà tout cela et l'honoraient 
et dans les grottes et les gouffres préhistoriques, 
les dessins pariétaux exprimaient déjà les liens d'admiration et de gratitude 
que nos ancêtres entretenaient avec la nature.

Marthe est attirée par le lac souterrain : l'âme collective, 
chassée par notre monde logique,
s'est retirée dans la partie obscure de notre esprit; 
le féminin, le maternel se sont réfugiés dans l'ombre, 
et la rivière de nos sentiments et de nos passions coule sous la terre, 
attendant patiemment le moment de sa résurgence !
Marthe, qui est une vraie femme, 
est attirée par le mystère de notre nature cachée. 
Quoi de plus naturel ?

Plonger dans les eaux souterraines signifie certes 
un retour aux eaux primordiales d'avant notre naissance, 
au monde à jamais perdu intra-utérin, 
et peut être lu comme un désir inconscient de régression ; 
cependant il m'apparaît qu'il est plus approprié, dans le cas de Marthe, 
de le lire comme une régression initiatique, un retour aux mystères 
des traditions des déesses-mères comme ceux d'Eleusis 
que notre monde chrétien a fait progressivement disparaître.

Mais à cette perspective, son mari, son homme, son masculin, 
n'est pas rassuré du tout !
Ce mari du rêve, quand on analyse les différents éléments en présence 
comme des parties internes de la psyché de Marthe, la lecture intra-psychique, 
est évidemment sa part masculine : sa raison raisonnable, son esprit, 
son intellect formé en France par l'Université lui disent de se méfier, 
de craindre cette attirance pour l'inconnu insondable de l'inconscient, 
cette "inquiètante étrangeté" comme le nommait Freud.

Le moi conscient et adapté à notre monde actuel,
 habitué à certains modes de pensée, bien normosé
arrivé au bord de cette eau sombre et insondable, 
frémit de peur et pense à la mort.
Il dit à Marthe : "Tu vas attraper la mort !". 
L'homme du rêve lui promet de grands dangers 
car il a peur de l'irrationnel, de l'insondable, de l'inconnu.

Oser retourner vers des initiations défendues par les autorités religieuses, 
c'est braver toutes sortes de menaces, culpabilités, châtiments, morts éternelles. 
Retourner vers le féminin primordial, n'est-ce pas dégénérer ?

Sans renier cette lecture intra-psychique, 
on peut aussi penser légitimement
que ce mari du rêve ressemble bigrement au vrai, 
que je connais bien, et qui est facilement impressionné 
par la puissance potentielle de son épouse.
Certes, Marthe projette son masculin sur son homme, 
mais l'inconscient ne projette pas n'importe comment, 
il choisit ses images avec une grande profondeur, 
il semble qu'il lise sans effort l'ombre de ceux qui nous entourent, 
et ce qu'il perçoit apparaît dans le rêve.

Bien que nécessitant prudence et réserve, 
une certaine lecture objective du rêve est possible.
Tout en parlant de l'évolution propre de Marthe, 
le songe parle en même temps de son couple, 
et de l'évolution collective possible dans notre monde 
des liens entre le féminin et le masculin, 
mais aussi entre l'homme et la femme.

Ce n'est pas "ou bien ou bien", c'est ET.

Nous sommes en ce cas autorisés
à comprendre les choses sur les trois plans
 -intrasubjectif, inter-subjectif et objectif - 
grâce à l'image qui suit, 
celle des deux voisins, le couple de petits vieux.

L'évolution possible des relations dans le couple,
au niveau collectif, 
est à mes yeux exprimée aussi par le songe, 
où l'on peut  partager une longue vie ensemble 
à condition de savoir encourager l'un pour l'autre 
le plein épanouissement des potentiels respectifs. 
Quand la petite vieille dame plonge, son époux l'encourage, 
et ainsi le gouffre disparaît sous la maison et la lumière grandit.

Marthe me précise que ces deux-là (les deux vieux) 
ne correspondent pas à des personnes qu'elle connaît. 
Ils sont donc à lire comme l'ombre du couple, 
ce qui est en potentiel
ce qui aspire à venir à la conscience pour y être intégré.

L'inconscient, je l'ai vu très souvent, se montre pédagogue pour le moi,
 et propose des possibilités en devenir : c'est là la dynamique du Soi.

Le Soi apparaît souvent dans les rêves,
 soit sous les traits d'un très jeune enfant 
qui a des caractéristiques étonnantes 
(par exemple, il parle couramment alors qu'il vient de naître), 
soit sous les traits de personnes très âgées, 
c'est-à-dire très sages.
L'évolution psychique réussie va vers une sagesse 
que bien des peuples traditionnels reconnaissaient à leurs anciens.

Notre monde actuel, qui a tant idolâtré la jeunesse, 
prisonnier inconscient d'un puer aeternus
l'enfant éternel parfait, tout-puissant et sans foi ni loi, 
a souvent oublié d'honorer la sagesse des Anciens ; 
à partir de cinquante ans, dans notre monde économique actuel, 
devenus has been, nous perdons notre valeur sur le marché du travail.
La vieillesse terrifie, on la cache...

La vision de l'âge comme un atout primordial sur le chemin de la sagesse, 
devenue rare, s'est retranchée dans l'inconscient, 
et s'exprime dans les rêves de nos contemporains.
Ce couple âgé, là où Marthe et son mari hésitent, n'hésite pas un instant ! 
La vieille femme, toute mince, en maillot de bain et bonnet de piscine,
 plonge sans crainte aucune, et son mari l'encourage ! 
Ils n'ont peur ni l'un ni l'autre.

Je trouve cette image particulièrement intéressante et originale : 
par les temps qui courent, des personnes âgées peuvent incarner cette audace 
et cette connaissance des territoires inconnus de la psyché 
(comme le Gandalf du Seigneur des Anneaux), 
notamment sous les traits des chamanes contemporains, 
hommes ou femmes.
Mais généralement ces figures hors norme, originales, 
vont seules,
surtout si ce sont des femmes.
On peut leur reconnaître des connaissances magiques, 
mais en ce cas, tels les prêtres ou religieux catholiques, 
ils sont célibataires.

Ici, c'est d'un couple qu'il s'agit, 
et la rêveuse est encouragée à trouver un chemin inédit, 
une compréhension personnelle de sa voie, 
tant spirituelle que dans sa vie de couple.
Elle est invitée à écouter son coeur, 
en n'hésitant pas à prendre des risques ; 
elle est sur un véritable chemin d'individuation.

Tant de formes de vie et de formes d'amour sont encore à inventer !

Paradoxalement, faire appel aux racines anciennes de notre psyché
à une certaine tradition, ne gèle pas les formes en conservant le connu,
 mais remet en mouvement l'éternelle inventivité de la vie.
Une tradition bien comprise ne stoppe pas l'évolution 
par un esprit de conservatisme, 
mais tout au contraire renoue avec son potentiel de création.
.
Lily Jattiot
"Sagesse du Féminin"
(p 184 à 188)
.
.

3 commentaires:

  1. oui un très grand rêve certainement et une grande interprétation aussi ! ce rêve traduit la possible collaboration entre le masculin et le féminin, il l'encourage à aller vers l,inconnu, vers sa nature profonde.
    Ce rêve m,a rappelé un rêve important que j,ai fait il y a longtemps, certains éléments se ressemblent, notamment la fenêtre rectangulaire :"Les murs du sous-sol sont en béton, sauf un,
    en belles pierres sèches avec un trou rectangulaire,
    toujours ouvert, sans fenêtre, sur le gouffre." Dans mon rêve cette fenêtre était celle qui menait ailleurs vers un autre rêve.

    j'ai beaucoup aimé lire ce que tu as déposé ici sur la prospective du rêve .

    amitiés nicole

    RépondreSupprimer
  2. Merci Nicole...
    J'ai découvert cette auteure, Lily Jattiot, il y a un an environ, et j'aime bien sa façon de voir...

    Merci aussi de citer l"analogie avec un autre rêve...
    Ce sont sans doute ces "fenêtres", ces "ouvertures" qui nous montrent que notre psychisme n'est pas fermé sur lui-même mais "ouvert" sur tout le reste...et qui nous montrent aussi que les rêves ne sont pas fermés non plus, qu'ils "communiquent" entre eux...d'où l'intérêt de les partager et de les comparer...
    (si tu retrouves ton rêve ancien, je veux bien le lire... :-)

    Très amicalement.

    RépondreSupprimer
  3. Je me demande si je ne te l'ai pas déjà donné mais je vais te le faire parvenir bientôt.

    amicalement nicole

    RépondreSupprimer