Vendredi 27 mars 2015
...Espace et temps, constituent les deux sources majeures des angoisses métaphysiques de l'être humain et en même temps les deux remparts les plus solides que l'homme ait construits pour se rassurer, mais aussi pour s'emprisonner.
L'infini spatial et l'éternité sont les deux mystères qui échappent à la compréhension logique. On peut concevoir la notion d'infini, on ne peut la représenter. le vertige s'empare de la raison lorsqu'elle cherche à se représenter une origine et un terme infinis. l'effroi naît de cette impuissance. Pour se rassurer face à l'insaisissable, l'homme s'est construit des références : les mesures.
En construisant des systèmes de mesure de l'espace et du temps, l'homme s'est donné l'illusion de maîtriser l'incompréhensible. Mais si vaste que soit l'espace qu'il prétend enfermer dans ses calculs, si précise que soit sa compartimentation du temps, tous ses efforts, tout son génie ne lui servent en fait qu'à s'isoler de sa peur, à l'éloigner du mystère. mais celui-ci reste entier, source inépuisable de l'angoisse essentielle.
La pensée rationaliste, merveilleux instrument de maîtrise de la nature par l'homme, paraît toujours plus justifiée par chacun de ses progrès. Elle est dans la nature des choses.
Mais, au contraire de son ancêtre égyptien, l'homme moderne, au nom de la réussite de sa science intellectuelle, s'est cru autorisé à nier le mystère.
Il est d'autant plus enclin à le nier qu'il s'enfonce plus loin dans sa démarche rationalisante. Sans voir qu'il renonce de ce fait à l'indispensable liaison avec l'ineffable. Car le mystère n'est effrayant que pour celui qui le nie. Le rapport naturel au mystère est celui de la communion.
Osiris, dieu de la mesure, est un dieu mort, éternellement figé dans ses bandelettes de momie. La mesure permet, rassure et fige. Elle est principe et permanence.Combien de fois voit-on au début des cures de rêve éveillé, ces images de cadres, de sarcophages, de statues, de momies, qui sont autant de figurations de l'être pétrifié, enfermé dans son besoin, dans sa recherche de cohérence intellectuelle ?
La vie est évolution, liberté, transformation incessante. cela exige l'acceptation de mouvement dans un espace et un temps vécus comme un accueil, non comme une perdition.
C'est le sens d'Isis, déesse de la Vie et de la Transformation.
G. Kolpaktchy constate que l'âme égyptienne communiait avec l'espace et l'éternité. Nous allons voir que notre contemporain le moins averti, le moins tenté par l'aventure spiritualiste, découvre automatiquement cette dimension qui le relie à la totalité...
Le sixième rêve -éveillé- de Marc me paraît rassembler la plupart des thèmes que je souhaite illustrer dans ce chapitre. Cette séance, assez longue, débute par une belle scène de franchissement :
"J'ai l'image d'un rhinocéros qui avance, un peu au galop, avec une résonance...Il va pratiquement droit devant lui....la végétation....la chaleur....d'autres animaux qui s'écartent...Il fait trembler le sol, trembler si fort qu'à des moments on a l'impression que le sol va s'ouvrir...Effectivement, c'est ce qui arrive...Une grande ouverture...et il tombe ! Cela va vite, très vite....Une descente comme dans un ascenseur ultrarapide...et il tombe, un peu comme s'il passait différentes époques....il descend."
En fait , Marc va se trouver dans un temps très reculé, vivre avec une tribu dans une cité lacustre puis se retrouver dans le Paris du Moyen-Âge, où se déroulent de longues scènes très riches sur le plan de la cure, mais sans lien apparent avec ce que j'entends démontrer.
Une fois encore, on assiste dans cette séance au phénomène du "bouclage", qui veut que le scénario se termine sur des scènes ou des thèmes présents dès les premières images. Ici, il s'agit naturellement de la traversée du temps.
"...Ce feu qui ne s'éteint jamais...Il y a toujours un endroit du monde où ces braises existent...Le mot qui me vient , c'est "Jérusalem". Le Christ et ses apôtres...Tibériade....les poissons de Saint-Pierre....les poissons que l'on peut manger dans les cafés au bord du lac...La mer Morte arrive, avec cette sensation étonnante de vagues alors qu'il n'y a pas de vagues....c'est du sel !
...Et puis toujours cette braise qui est une flamme...C'est l'Esprit, c'est la Pentecôte...Tout se rejoint...Il y a toujours l'esprit et...comme un tableau....s'il y a l'esprit, il y a le travail...ces hommes du Moyen-Âge courbés sur leur travail....C'est comme une fresque où ces images apparaissent, une grande fresque où l'on ne retrouve plus un défilement d'images, mais où tout est en même temps, comme une histoire...
La Bastille, qui brûle, le Moyen-Âge, Israël, Jérusalem, tout est là, et cette fresque, en fait, forme un cercle comme un cylindre...On serait à l'intérieur...Il n'y a pas de début, il n'y a pas de fin...C'est le même, on recommence...cela tourne...Cela tourne....Elle tourne, la fresque. On est au centre, un peu comme un point fixe, comme le point central d'une aiguille qui tourne sur une grande montre...
Le temps...le temps n'existe pas...ni de notion de changement du temps...On est au-dessus du temps...On voit tout...tout en même temps...L'infini et l'immédiat, puisqu'on est au-dessus....comme une cellule où tout est inscrit et tout fait partie d'une unité !
...et...Ah oui ! dans chaque cellule on retrouve la même image. Cette notion d'être au centre alors que là, le temps n'existe plus...sinon, on serait au bout de l'aiguille....une pyramide. Là, sur la fresque...avec les têtes des pharaons dont le dessin est à plat sur la fresque...cela fait partie de la fresque, il y a tout sur la fresque...et on pourrait, je pense, décrire toute l'histoire du monde....Il y a un dinosaure....Toute l'histoire du monde est inscrite là...
Puis, là, retour sur une plage où on est au chaud, agréablement, avec cette vision de la fresque...sur une plage où on se laisse aller, devant la mer...On redescend , comme au départ....ouverture de la plage, chute à travers le temps...et à nouveau une région de verdure...On dirait que l'on va recommencer la même chose...Notion du temps et de l'espace...Je crois que je vais arrêter....c'est le renouveau."
On ne peut s'empêcher, devant cette impressionnante roue du temps, de penser à la révélation du Bouddha ainsi qu'au mythe de l'éternel retour.
Mais le lecteur aura, bien entendu, observé aussi que l'Egypte et le pharaon sont encore présents dans la séquence. Cette perspective ouvrant sur "un temps qui n'existe pas", qui n'a ni origine ni fin, mais qui peut être regardé dans sa totalité, se heurte à notre vue étroite et parcimonieuse du temps.
Autant nous admettons avec une relative aisance qu'un espace infini puisse être entièrement déployé, autant la pensée se rebelle contre la représentation d'une éternité également déployée.
Le langage traduit la différence d'approche envers les deux mystères, puisque nous prétendons "parcourir" les distances alors que nous avons l'impression de "subir" des durées. La différence d'impression face à un espace stable et à un temps fugitif provient du fait que nous pouvons avancer ou reculer dans l'espace , alors que nous ne pouvons revenir sur le temps passé.
Mais n'est-ce pas une simple illusion d'optique ? On peut aussi soutenir que l'éternité est une donnée immuable intégralement déployée et que seule la matière et ses changements d'état marquent des repères sur cette immobilité ! Un prisonnier gardé dans l'obscurité totale et sans contacts réguliers perd complètement la notion du temps.
Ces réflexions n'ont pas de prétention métaphysique. Elles ont leur place dans ces pages, parce que, dès que l'on rentre dans l'univers du rêve, diurne ou nocturne, l'expression s'affranchit des catégories contraignantes que sont les références au temps et à l'espace.
Texte de Georges Romey
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