Mercredi 8 mai 2013
Marie-Louise Von Franz propose, dans son livre "Rêves d'hier et d'aujourd'hui", une analyse approfondie des trois rêves de Descartes...analyse passionnante mais très longue, puisqu'elle s'étale sur tout un chapitre...
J'ai hésité à vous en faire un résumé...puis je me suis dit qu'il serait plus intéressant de vous proposer une interprétation plus personnelle, interprétation qui s'appuiera, néanmoins, parfois sur la sienne...
A chaque fois que j'emprunterai un passage au livre de Marie-Louise Von Franz, je le signalerai par les lettres MLVF...
Je me pencherai tout d'abord sur le symbole du "vent", qui apparaît en quelque sorte comme le "motif central" du premier rêve...
"Après s'être endormi, son imagination se sentit frappée de la représentation de quelques fantômes qui se présentèrent à lui, et qui l'épouvantèrent de telle sorte que, croyant marcher par les rues , il était obligé de se renverser sur le côté gauche pour pouvoir avancer au lieu où il voulait aller, parce qu'il sentait une grande faiblesse au côté droit dont il ne pouvait se soutenir.
Étant honteux de marcher de la sorte, il fit un effort pour se redresser, mais il sentit un vent impétueux qui, l'emportant dans une espèce de tourbillon, lui fit faire trois ou quatre tours sur le pied gauche....
(...) et il fut repoussé avec violence par le vent qui soufflait....(...)
...et que le vent qui avait pensé le renverser plusieurs fois...(...)"
D'après Jacques de la Rocheterie, dans un rêve, l'image d'"un coup de vent plus ou moins violent, mais non destructeur" indique qu'un événement "numineux" très important et fortement chargé d'affects s'élabore au sein de la psyché. Un tel rêve, nous dit-il, est particulièrement impressionnant et souvent d'une interprétation difficile.
Bon, essayons quand même ... 
René Descartes, fit ce rêve en Allemagne, alors qu'il était encore très jeune (23 ans) et ce rêve l'impressionna tant, en effet, qu'il le publia dans un ouvrage appelé "Les Olympiques" (ouvrage aujourd'hui disparu).
En 1619, il assista à Francfort au couronnement de Ferdinand II d'Autriche et s'installa alors dans une maison de bourgeois allemand à proximité d'Ulm où, durant tout l'hiver, il traversa une sorte de période d'incubation spirituelle, calfeutré "dans le poêle", c'est-à-dire la chambre chauffée de ses hôtes. C'est à cette époque qu'ont lieu son "illumination", sa grande découverte mathématique et méthodologique, ainsi que le rêve qui lui succède et qui est le thème de notre étude.(MLVF)
Adrien Baillet nous dit qu'il "s'est couché ce soir-là tout rempli de son enthousiasme et tout occupé de la pensée d'avoir trouvé les fondements de la science admirable"...
Après avoir, pendant des années, déployé d'intenses efforts (par le doute systématique) afin de nettoyer son esprit de tout préjugé et de parvenir à la "vérité"...
...sans doute venait-il de vivre, la veille, " une "illumination mathématique" et une vision intuitive de certaines combinaisons ou arrangements. Il est même possible qu'il en ait tiré la conclusion (quelque peu prématurée) qu'il avait ainsi découvert une sorte de science universelle ou les lois de cette dernière.
Selon J.Sirven, Descartes aurait même déjà pressenti l'ensemble de sa "méthode", à savoir sa méthode de pensée, dont les découvertes mathématiques mentionnées auraient été les premiers fruits. La méthode serait fondée, pense Sirven, sur l'idée générale de "l'unité des sciences". Son premier résultat serait la notion d'une "mathématique universelle".(MLVF)
(...)
"Selon G.Milhaud, Descartes aurait découvert des "choses d'en-haut, des choses divines ou célestes", et il aurait pour cette raison , baptisé son traité "Olympica" et interprété la tempête de son rêve comme étant le "génie" et l'éclair comme "l'Esprit de vérité". (MLVF)
Le vent est, en effet, symboliquement, le "souffle de la nature" qui porte les germes et les pollens...il est ce qui engendre, ce qui crée, ce qui "porte" la vie...
Il est aussi associé au souffle humain, au logos, au verbe, à la notion de création. Imprévisible, invisible, insaisissable, il apporte l'inspiration et le changement...Il est puissance de vie et de transformation.
En grec, "anemos" le vent, est très proche, phonétiquement, d' "animus", l'esprit.
Jung dit d'ailleurs : "Dieu est le vent. Il est le souffle invisible et plus fort que l'homme."
Le "vent-esprit" apporte donc les "germes" de nouvelles idées, idées que, dans son élan quelque peu inflationniste, Descartes prend pour la "vérité absolue"...pour la "science universelle" qui résumera toutes les autres...
Descartes est un être saisi par le "nouvel esprit", nous dit Marie-Louise Von Franz, ses découvertes préparent la vision du monde d'une époque en gestation, caractérisée par le développement de la pensée scientifique..."
"L'homme de la Renaissance dépose son humilité moyen-âgeuse et commence à se redresser et à faire confiance à sa propre pensée." (MLVF)
N'oublions pas que "Descartes a contribué de façon décisive, - auprès des ouvrages de Kepler, de Galilée et d'autres...- à édifier cette nouvelle image purement mécanique du monde qui a eu cours jusqu'à la fin du 19 ème siècle." (MLVF)
La "tempête" du rêve pourrait donc bien être ce "nouvel esprit" de la Renaissance qui est en train de "balayer" les anciennes visions du Moyen-Âge et qui apporte un "nouvel air", une nouvelle "ère" faisant la part belle aux Lumières de la Pensée et de la Raison.
"Vent impétueux du changement" qui va d'une part, amener la "Réforme" (protestante) et d'autre part, entraîner l'essor des sciences modernes, l'approche dite "cartésienne"...
"Je pense donc je suis" : ce sera, pour la postérité, la phrase qui "résumera", par excellence, le "bonhomme".
D'après lui, la pensée serait ce qui nous définit le mieux...ce qui définit le "JE" et ce serait la certitude première. L'homme serait avant tout une "substance pensante"...
MLVF, elle, en tire cette conclusion :
"La pensée est donc, par excellence, la fonction de la conscience qui est fusionnée avec le moi et, selon Descartes, l'âme ne se compose que du "moi-pensant"; en d'autres termes, Descartes s'identifiait totalement avec sa fonction pensée."
La pensée au centre du Moi, et la pensée logique, rationnelle, mathématique, au centre de tout, "expliquant" tout...voilà l'intuition de Descartes et voilà ce qui va caractériser les temps qui viennent...
Emporté par son enthousiasme de "pionnier" (ou par ses "fantômes"-"daimons" ?), il semble bien que Descartes court le risque de s'identifier totalement avec sa découverte et avec sa pensée, de ne pas percevoir la nature autonome de son expérience et de son intuition...
Il croit, en toute bonne foi, être le "créateur" de l'esprit qui souffle et ne voit pas que c'est au contraire l'esprit de son temps qui le possède...et qui le "pousse" où il veut...
Il croit, en toute bonne foi, être le "créateur" de l'esprit qui souffle et ne voit pas que c'est au contraire l'esprit de son temps qui le possède...et qui le "pousse" où il veut...
C'est pourquoi, nous dit Marie-Louise Von Franz, l'esprit vient le harceler la nuit de façon terrifiante sous sa forme originelle; ces fantômes recouvrent en même temps tout ce qui pour l'instant dépasse encore la compréhension qu'il a de sa découverte, aussi bien les processus archétypiques d'arrière-plan que l'éclosion d'un nouvel esprit du temps avec ses impulsions dangereuses et menaçantes pour l'ordre humain. En effet, la guerre de Trente ans était sur le point d'éclater et ses conséquences allaient anéantir pour une longue période toute culture au coeur de l'Europe.
La Licorne
Prochain article : Le déséquilibre
Très bon article !
RépondreSupprimerCommentaire n°1 posté par Lou Marchand le 16/06/2014 à 09h38
Merci.
SupprimerRéponse de La Licorne le 16/06/2014 à 20h05
Voyons, voyons...La Licorne et Lou Marchand ne seraient donc qu’une seule et même personne... Ou alors, il s’agit d’un meuble que le déménagement n’a pas remis à la bonne place... :-)
RépondreSupprimerAmejeg...
Non...je ne m'appelle pas Lou Marchand...
RépondreSupprimermais je n'ai pas trouvé d'autre moyen de transférer les anciens commentaires...
Alors mon avatar apparaît - malheureusement- sur tous...
Pour connaître l'auteur du propos et la vraie date de publication..., il faut se reporter, à chaque fois, à la dernière ligne...
C'est une question d'habitude...j'espère que ce ne sera pas trop perturbant...pour ceux qui atterriront ici...
J'ai préféré la copie manuelle... au transfert automatique, qui, lui, avait d'autres inconvénients (plus graves à mes yeux), et qui ne respectait pas, lui non plus, l'intégrité des commentaires...
Merci quand même à toi, "Amejeg" ;-), de m'avoir donné l'occasion de préciser les choses...
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