lundi 29 décembre 2014

Le faiseur de pluie

Lundi 19 mars 2012


Le faiseur de pluie

Dans son introduction au Yi King (traduction française d’Etienne Perrot),
Jung rapporte un témoignage de son ami sinologue Richard Wilhelm :
la région de Chine où il séjournait fut frappée d’une sécheresse catastrophique.
Au comble du désespoir, les chinois firent appel aux services «paranormaux»
d’un faiseur de pluie : un vieil  homme émacié,
qui ne souhaita qu’une chose pour accomplir son office :
qu’on mette à sa disposition une maison isolée et tranquille.
Il s’y enferma trois jours, et le quatrième, les nuages se firent denses, 
et il y eut une forte chute de neige, en grande quantité,
à une saison qui n’était pas pourtant celle de la neige.
Emerveillé et fortement impressionné, Richard Wilhelm demanda au vieil homme
comment il avait ‘‘fait’’ la neige.
Celui-ci lui répondit contre toute attente qu’il n’en était pas responsable.
Il avait simplement constaté que le pays tout entier était en désordre intérieur
et qu’il se retrouvait dés lors lui-même affecté par ce désordre.
‘‘Aussi la seule chose que  j’avais à faire était d’attendre trois jours
jusqu’à ce que je me retrouve en Tao,
et alors, naturellement, le Tao fit la neige’’.
.
C-G Jung
Comprenez que, pour Jung, cette histoire qu’il nous raconte n’est pas une jolie fable, mais un fait réel dont son ami sinologue, Richard Wilhelm a été le témoin objectif, dans la Chine encore traditionnelle du début du XX ème siècle, bien que notre science rationnelle occidentale n’y puisse rien comprendre. Et c’est la réalité, pour Jung, de cette histoire qui fait précisément à ses yeux, toute son importance, au point qu’il conseillait toujours à ses élèves de commencer par son récit lorsqu’ils devaient faire des conférences pour présenter la voie des profondeurs.
Jung découvre en effet dans cette histoire un témoignage saisissant de la synchronicité qu’il définit comme  une relation a-causale entre des phénomènes qui n’appartiennent pas au même registre du réel. 


Le faiseur de pluie – figure haute en couleur de la Chine taoïste traditionnelle que la chape de plomb rationaliste du maoïsme a fait totalement disparaître – vit manifestement l’univers (y compris dans sa réalité physique) comme un ‘‘unus mundus’’, comme disent les alchimistes, c’est-à-dire comme un monde UN.

Il y a un seul monde : tous les registres du réel sont en synchronicité, c’est à dire les uns AVEC les autres, la sécheresse qui est un état physique de la matière, AVEC le désordre du pays qui ici est manifestement pour le faiseur de pluie un état psychique. Mais qu’est-ce que l’ordre ? C’est précisément la situation dans laquelle le monde et les êtres sont dans l’AVEC. 

Le Tao est en effet fondamentalement le principe de l’Avec selon la pensée chinoise : il est le Yin, le féminin, avec le Yang, masculin, le Yang avec le Yin. Toutes les relations sont harmonieuses lorsque les deux énergies féminine et masculine sont dans l’Avec, en communion. Le Tao est analogue à la notion jungienne du Soi, conjonction du féminin et du masculin, centre de l’être à partir duquel tout se réunit et s’harmonise.


Notre civilisation moderniste occidentale qui sépare radicalement les registres extérieur et intérieur, la matière et la psyché, ne peut tout simplement pas penser ce principe. Et dès lors celui-ci ne peut lui apparaître dans son opérationnalité.  
Lorsque le terrible tsunami est venu frapper l’Asie en décembre 2004, le moins que l’on puisse dire est que les discours occidentaux n’ont pu  spontanément l’associer à un désordre dans le psychisme de nos contemporains. 
Certes, on a pu très vite comprendre qu’il existait un rapport physique de cause à effet entre ce phénomène naturel et le réchauffement climatique de la planète, et reconnaître que celui-ci est lui-même  l’effet écologique désastreux du développement économique exponentiel du capitalisme mondialisé.

Mais la science occidentale répugnerait à lier cet événement avec le désordre psychique qui affecterait l’humanité, car la psyché et les problèmes psychologiques des individus relève d’un autre registre du réel que celui de l’écologie. Le logos scientifique occidental ne peut en effet approcher le réel que sur le mode d’un principe de causalité linéaire selon lequel un phénomène serait toujours mécaniquement produit par un enchaînement d’autres qui sont tous sur le même registre que lui : dans l’exemple que j’ai choisi le registre est écologique, concerne la façon dont la «matière» en quelque sorte écologique de la Terre est affectée.


‘‘Comment avez-vous produit la neige ?’’, demande ainsi Richard Wilhelm en bon européen causaliste !
Le Chinois répond qu’il ne peut pas être responsable de la neige, mais seulement de l’ordre qui existe à l’intérieur de lui-même : si, dans un univers en désordre, je me mets en ordre à l’intérieur de moi (en me centrant sur le Tao, le Soi), synchronistiquement, c’est à dire sans lien causal, cela peut favoriser l’émergence d’un ordre harmonieux dans ma réalité extérieure.

Entendons bien ce que signifie «sans lien causal» : quoique je fasse, je ne suis pas maître de cette évolution ; ce n’est pas moi qui la produit, qui la contrôle ou qui peut la programmer. Elle est le fait du Tout Autre, du Tao qui lui seul, pour ainsi dire, sait le chemin que je dois suivre pour approcher de l’harmonisation de toute chose.
.
Pierre Trigano et Agnès Vincent
.



4 commentaires:

  1. Bonjour Licorne,

    il y a très longtemps, j'ai rêvé de l'homme-pluie.

    C'est un rêve très ancien mais très fort (puisqu'il est resté dans ma mémoire). j'ai vraiment "rencontré" cet homme pluie. Il m'a laissé une forte impression.

    Il était dans un arbre, dans une forêt de style amazonienne...je ne me souviens plus des détails à moins que je l'ai noté quelque part. Nous laisserons agir l'oiseau...pardon le Tao! ;)
    Commentaire n°1 posté par Nout le 20/03/2012 à 11h43

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  2. :-)
    Tiens, l'homme de pluie que tu décris dans son arbre et l'oiseau m'ont fait repenser à un conte africain qui s'appelle "L'oiseau de pluie..." :
    http://chezlorry.ca/histoires/odp.htm

    Réponse de La Licorne le 20/03/2012 à 14h24

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  3. Bonjour,
    j'ai découvert votre blog, et je viens à vous pour vous présenter un projet. J'ai créé une page Facebook dédiée à la féerie. J'aurais souhaité y partager des recettes, des mythes, des légendes, y parler de Mère Nature également.
    Si le projet vous intéresse, je serais très honorée par votre présence.
    Voici le lien : https://www.facebook.com/atelierdesfees
    Au plaisir :)
    Commentaire n°2 posté par Estelle le 21/03/2012 à 14h49

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    1. Pourquoi pas ? J'aime beaucoup les mythes, les légendes... la nature ...et les fées aussi !
      Mais l'histoire racontée ici est, je tiens à le rappeler, un fait réel !


      Réponse de La Licorne le 21/03/2012 à 15h25

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