"P.G (Patrice Galbaud) :
Il y a toujours des
sceptiques, vous savez.
Parmi les gens qui nous écoutent
il y en a
certainement beaucoup qui se disent :
"Qu'est-ce qu'ils sont en train de
raconter ?
Ce sont des visionnaires", etc.
Moi, je pense que ce que
vous dites est tout à fait sérieux.
Est-ce qu'on peut dire que
l'explication des rêves
peut remplacer une psychanalyse ?
F.S.R.T. (Francine Saint-René Taillandier)
Naturellement.
E.P (Etienne Perrot).
C'est assez fort que vous soyez amené à poser une
question pareille,
parce que, quand même, à la base de la psychanalyse,
il y a un livre de Freud qui s'appelle
"L'interprétation des rêves"
et il y a cette déclaration de Freud :
"Le rêve est la voie royale de
l'inconscient."
Alors , c'est paradoxal que l'on soit arrivé à ce stade
que la psychanalyse soit mise à l'écart des rêves,
et qu'on dise : "ou
bien, ou bien".
A cela il y a une raison très simple,
c'est que
Freud a été dépassé par ses matériaux.
On peut renvoyer les auditeurs au
récit de Jung dans Ma vie.
Pour contenir ce qu'il appelait "
le flot de vase noire de l'occultisme",
il a créé la théorie sexuelle.
Ce n'est pas moi qui diminuerait l'importance de la sexualité
dans notre
vie concrète, dans la vie inconsciente et dans les rêves,
mais on ne
peut pas fonder une explication de l'homme
sur la sexualité érigée en
dogme,
en dieu unique, pourrait-on dire.
Alors qu'est-ce qu'il se passe?
C'est
que les rêves n'entrent pas dans la grille
de la théorie freudienne et
de la théorie sexuelle,
si bien que les rêves, très vite,
mettent en
cause l'interprétation
qu'en donne la psychanalyse,
et le psychanalyste
lui-même.
Alors on laisse les rêves de côté.
Il faut dire que cela se
passe,
également, pour une bonne part,
dans l'école jungienne.
Pourquoi
?
Parce que aujourd'hui encore ,
une génération au moins la
mienne,
la génération des plus de cinquante ans,
- j'en ai soixante -
est
pétrie d'un rationalisme
qu'on nous a inculqué à l'école,
et elle a du
mal à se mettre
en prise directe sur le symbole,
sur l'énergie
intérieure.
Jung, je vous le disais tout à l'heure, a eu une
aventure à base de rêves.
Pour passer ce qu'il avait à faire passer, il a
inventé des concepts,
tout en disant : "ça n'a qu'une importance
provisoire,
les mots je m'en moque,
ce qui compte, c'est l'expérience."
Il
arrive ce qu'il avait prévu,
ce qu'il a décrit d'une façon très claire.
Après sa mort, ce qui était dit-il, feu et vent,
est devenu "préparation pharmaceutique morte".
Et il disait :
"Les dieux ont été
enterrés dans le marbre et l'or,
moi je serai enterré dans le papier"
dans le papier, c'est à dire la conceptualisation,
les choses
sèches.
Alors, en réponse à votre question
(les rêves peuvent-ils remplacer la
psychanalyse ?),
je dirai :
Nous, nous sommes comme les réformateurs
religieux,
nous revenons aux sources,
nous revenons à la source de la
psychanalyse,
nous revenons à
la source de l'aventure de Jung,
qui est une aventure de confiance dans
la vie,
exprimée par le dynamisme des rêves...."
.
Etienne Perrot
Extrait d'une émission de France culture
(10 avril 1983)